[TERMINÉ] Le Lion et l'Oracle [ft Lucie]

Mégapagopolis, la ville aux immenses tours, la capitale, Ralsen se demandait parfois comment des buildings aussi hauts ne disparaissaient pas dans les nuages. Elle avait eu droit à une drôle de mission ce jour-là, une vérification des systèmes de sécurité de l’un de ces bâtiments géants. Rien de bien étrange, même si elle avait tendance à être assignée - ou s’assigner elle - même - à des lieux plus modeste, c’était dans ses cordes. Enfin, tout ce qui était pratique et non technologique, ça, c’était le job d’autres collègues. Non l’étrangeté de la mission était qu’elle et quelques autres agents allait faire des vérifications non pas dans n’importe quel tour, mais bien la propriété d’un de leur sponsor : la fameuse Zénith SARL.

On ne pouvait pas faire plus éloigné du genre de milieu que Ralsen avait l’habitude de fréquenter. La haute de la haute, l’élite, la plus grosse entreprise de l’île qui avait littéralement le monopole. Mais les ordres sont les ordres, et elle essayait de se rassurer en se disant que la mission serait une bonne expérience, il fallait bien sortir de sa zone de confort non ?

La secouriste avait davantage l’impression que leur inspection n’était qu’un moyen pour la compagnie de vanter leur mérite et leurs technologies. Elle n’y comprenait pas grand chose, à l’économie et au marketing, elle était bien contente que ses collègues se chargent de la conversation. Elle se sentait un peu stupide. Elle était bien plus à l’aise lorsque les agents se mirent à vraiment bosser, chacun dans leur spécialités. Ralsen avait l’impression d’être dans un autre univers mais au moins, travailler lui faisait garder les pieds sur terre.

La journée avait été tellement longue, l’immeuble entier appartenait à la Zénith et la tour semblait infinie. Même avec sa forme olympique, la secouriste savait qu’elle paierait en courbatures aux jambes le lendemain. Au moins, elle allait bientôt partir de cet endroit trop alien. Même si la forteresse du STERN était des plus impersonnelle, elle préférait être là bas dans sa petite chambre aménagée en un cocon agréable que rester encore trop longtemps dans des bureaux froids entourées de beaucoup trop de personnes en costume bien taillé. Dans les avantages de la mission, elle avait aussi entendu son supérieur discuter d’un nouvel arrivage de matériel pour dresseurs avec l’un des employés de la compagnie. Le STERN allait bientôt en bénéficier, apparemment, Ralsen se demandait bien de quoi il pouvait s’agir. Des nouvelles CTs ? Allez savoir.

D’ailleurs, les conversations entre les adultes plus adultes ne semblaient pas finir. Un peu désespérée, la jeune agente décida qu’il était temps d’une dernière pause toilette, et comme par hasard les plus haut gradés décidèrent à ce moment-là de congédier les plus jeunes agents, la mission officiellement terminée. Elle compta sur ses collègues de même rang pour l’attendre, le trajet à la base pouvait attendre cinq minutes. Si elle trouva lesdits toilettes sans trop de soucis après avoir obtenu quelques indications, le retour lui était… un peu plus semé d'embûches. Le groupe de STERN restant et Zénith avait bougé, et les agents congédiés avaient disparu aussi sans l’attendre. Elle ignorait où ils étaient passés, et surtout, l’endroit était tellement grand qu’il aurait pu être un labyrinthe.

Après avoir lâché un “Sérieux ?” plus inquiet qu’agacé, elle essaya de trouver son chemin. L’ascenseur ne devait pas être bien loin non ? Ou la cage d’escalier ? Le mieux restait de demander son chemin. Elle adressa la parole à la première personne qu’elle croisa, littéralement.

“Euh… Bonjour ? Je suis un peu perdue, vous pourriez m’indiquer où est l’ascenseur ? Ou juste euh… la sortie ?”

Depuis qu’elle avait rejoint le STERN, elle avait dû abandonner l’idée d’être familière avec tout le monde. Quand tous les voisins et tous les commerçants se connaissaient les uns les autres, plus personne ne vouvoyait. Elle avait grandi dans ce contexte et avait dû bien vite  apprendre à au moins mettre les formes et parler poliment, surtout en présence de personnes importantes. Et cet endroit, eh bien, elle pensait que tout le monde était important ici. Il n’empêche, parler de la sorte ne lui était pas naturel, moins bizarre qu’avant, mais quand même pas très naturel, ça s’entendait à son manque d’assurance en plus d’être intimidée par l’entreprise entière en tant qu’entité.

Ralsen était passée d’un peu gênée par sa question qui lui semblait un peu ridicule à… confuse. Elle ne s’attendait pas à recevoir un rire en guise de réponse, en plus d’être perdue physiquement elle était maintenant perdue mentalement. Elle eut à peine le temps de ponctuer sa confusion d’un léger “Hum…?” que son interlocutrice lui répondit - pour de vrai cette fois.

“Ouais t'inquiète, je peux t'y emmener”

Oh ! Du tutoiement, merci Arceus. Quoique, cela ajoutait encore une couche d’étonnement chez la secouriste, toutes les personnes de la tour qu’elle avait croisées semblaient être toutes très… éduquées, entre les costards et les blouses blanches. Fatiguée par sa journée, et légèrement stressée de ne pas savoir où aller, elle n’avait pas fait attention ni à l’apparence de sa sauveuse ni à son accoutrement jusque là.

Elle détonnait clairement avec tous les travailleurs Zénith qu’elle avait croisés, travaillait-elle même ici ? Pas de joli costume ni d’air de scientifique, seulement des habits des plus normaux. C’était la fin de son service alors ? Quoique… non, elle semblait un peu jeune - à moins qu’elle soit un génie - Ralsen lui donnait son âge, plus ou moins. Une stagiaire ?

Elle ne manqua pas non plus de remarquer les cicatrices de la rouquine, sans y prêter plus d’attention. Elle avait l’habitude de voir de la chair scarifiée, le monde était déjà bien dangereux, mais cette île le semblait encore bien plus. De ses proches jusqu’aux inconnus à travers Maïlys, elle en avait vu, des peaux abîmées. Par contre, l’aide auditive qu’elle aperçut lui semblait être une petite pique de culpabilité lancée en plein mille pour avoir pris du retard sur ses cours de langue des signes qu’elle avait trouvé en ligne… Ouch.

Ralsen en avait oublié de la remercier, son cerveau avait totalement buggé avec les milles et une questions qu’elle se posait - et peut-être un peu aussi parce que sa sauveuse s’était révélée avoir un joli visage, une bonne façon de l’intimider sans le vouloir.

“Merci !” s’empressa-t-elle de dire avant que ça ne soit trop tard et un peu gênant.

“Tu fais partie des agents pour l'inspection ? J'ai croisé tes collègues plus tôt, ils t'ont larguée derrière ou quoi ?”

En plus d’être directe, son interlocutrice parlait de façon bien plus familière qu’elle n’aurait pensé. Au lieu d’être vexant ou frustrant, la secouriste trouvait ça plutôt rassurant. Au moins elle n’avait pas à marcher sur des oeufs non plus, tout en ne faisant que rajouter plus de questions qui se bousculaient dans sa tête.

“C’est ça ! Et euh… Je suppose qu’ils avaient hâte de rentrer, ils pensaient pas à mal”

Plutôt que d’estimer que ses collègues l’avaient effectivement lâchée pour rentrer le plus vite possible chez eux, elle préférait penser qu’ils avaient pris de l’avance sans savoir que Ralsen finirait perdue. À l’extérieur, son sens de l’orientation était plutôt bon, et malgré ses limites académiques, elle savait très bien lire et retenir plans et cartes en plus de savoir prendre des repères, tant que tout ne se ressemblait pas. Ils s’étaient sûrement dit qu’elle s’en sortirait et les rejoindrait rapidement, voilà tout. Probablement. Surement.

“Du coup… Tu travailles ici ?” demanda-t-elle, un peu timidement, une timidité qui venait bien plus du lieu que de la personne en face d’elle. “Ah ! Je m’appelle Ralsen, au fait, enchantée !” ajouta-t-elle rapidement, il fallait quand même rester un peu polie, un minimum.

Son interlocutrice n’avait l’air vraiment pas convaincue par les excuses que trouvait Ralsen à ses collègues, et à raison. La secouriste, elle, s’accrochait à son explication, elle voulait continuer de croire à un semblant de solidarité entre les agents plutôt que d’admettre leurs fautes. Ils étaient chacun leur propre individu, le badge et le matériel ne leur octroyaient pas soudainement de belles vertus, mais s’ils avaient rejoint le STERN c’était bien parce qu’ils étaient un minimum de bonnes personnes, non ? Ils étaient simplement un peu négligents.

“Moi c'est Lucie” se présenta la rousse  “Et non j'bosse pas ici, mon père ouais. C'est peut-être à cause de lui qu'vous avez du venir aujourd'hui d'ailleurs.”

“Oooh… Je vois” se contenta de répondre Ralsen, malgré le fait qu’elle ne voyait absolument pas.

Enfin si, mais elle était confuse du contrast entre la dénommée Lucie et le fait que son père travaillait ici, à la Zénith, et si la présence des agents venait bien d’une demande de celui-ci, ce n’était pas n’importe quel employé de l’entreprise mais bien quelqu’un d’important. Et Lucie… eh bien Lucie avait l’air tellement normale, Ralsen n’imaginait pas quelqu’un avec un parent aussi important et probablement dans les personnes les plus riches de l’île avoir l’air d’être comme tout le monde. Quoique, les enfants ne sont pas leurs parents, elle était bien placée pour le savoir, et ce genre de chose dépassait les classes sociales.

“Merci pour ça, d'ailleurs”

Ça quoi ? Ah oui, l’inspection. Si Ralsen devait parler franchement, elle était à peu près sure que leur venue était totalement inutile, et plus de l’ordre du relationnel entre les deux entitées, du peu qu’elle comprenait. La Zénith était le monolithe commercial et technologique de Maïlys, et le STERN avait produit son propre matériel en plus d’être sponsorisé par l’entreprise. L’échange de technologie entre les deux devait durer depuis la création de la milice, système de sécurité inclus, et chacun savait très certainement gérer leurs propriétés respectives. Le contrôle de la tour n’avait été qu’une formalité, clairement. Mais après tout, qu’est-ce qu’elle en savait ? Elle n’était que simple agente. Elle avait juste la sensation de perdre du temps et de l’énergie qu’elle aurait pu employer à faire quelque chose de plus concret. Ou aider des personnes qui en avaient vraiment besoin. Mais les ordres étaient les ordres.

“Oh, de rien. En plus la Zénith nous aide, ça serait bête de pas leur renvoyer l’ascenseur !”

En parlant d’ascenseur, elles étaient arrivées.

“C'est juste là ! Je peux te raccompagner jusqu'à la sortie, j'étais sur le point de rentrer de toute façon.”

“Merci ! Et euh, je veux bien, si ça t’embête pas, je veux pas déranger”

Est-ce qu’elles étaient très en hauteur dans la tour ? Ralsen espérait que le voyage en ascenseur jusqu’en bas ne serait pas gênant. En attendant la cabine, elle se mit à réfléchir à un sujet de discussion. Un truc naturel. Oh elle pouvait lui demander si elle connaissait le téra-machin qu’elle avait vaguement entendu pendant la conversation entre supérieur STERN et Zénith ? Elle n’avait même pas perçu le nom complet. Non c’était peut être encore secret. Et pis Lucie n’avait peut-être pas envie de parler du boulot de son père de façon générale. Non c’était même sûr, c’est ça qui arrivait aux gens des hautes sphères, non ? Être connu et toujours rattaché à ses parents qu’on le veuille ou non.

“Du coup… Tu travailles pas ici mais tu travailles ? Ou tu fais des études ? Oh, les badges peut-être ?” demanda-t-elle en entrant dans l’ascenseur.

On ne pouvait pas faire plus bateau comme questions, elle n’avait pas trouvé mieux sans être trop intrusive. De toute façon, du peu qu’elles avaient échangé, ce n’était pas difficile de comprendre que Lucie ne gardait pas sa langue dans sa poche, si Ralsen la dérangeait elle le saurait bien vite. Elle avait remarqué le Porygon Z qui accompagnait la rouquine, mais c’était peu pour savoir si quelqu’un chassait les badges, tout le monde ou presque avait un ou plusieurs compagnons Pokémon. Elle aurait juré le voir bugger comme un hologramme - ou un écran ? - pendant un très bref instant d’ailleurs, mais elle avait mis ça sous le coup de la fatigue.

Et ainsi la descente vers le rez-de-chaussée était entamée.

Ralsen ne savait pas si elle devait s’attendre à une réponse, Lucie s’était mise sur son Motismart, elle n’était peut-être pas du genre à discuter, et plutôt du genre à apprécier le silence et un peu de solitude. Pas vraiment le genre de chose qui dérangeait Ralsen, du tout même, mais avec des inconnus… eh bien, c’était juste un peu gênant. Surtout dans une longue, longue descente en ascenseur. Finalement, Lucie la regarda pour lui répondre, c’était au moins un bon signe, la secouriste ne l’avait pas interrompu dans quelque chose d’important.

“Des études. J'étudie la bio à Bordeciel, je suis ici que les week-end.”

“Oh, cool ! J’ai jamais fait d’études, c’est comment ? Enfin…” elle hésita avant de continuer, tout en se grattant la joue un peu nerveusement “J’ai jamais vraiment fini l’école, en fait”

Même si elle avait eu l’occasion d’en faire, Ralsen n’aurait probablement jamais fait d’études supérieures. Elle était plus à l’aise dans le manuel, et elle apprenait en mettant la main à la patte bien plus qu’en suivant des leçons derrière un bureau. Elle n’aurait pas survécu plus d’un mois dans une université, ça, c’était sûr. Pour la formation du STERN, c’était clairement la pratique qui l’avait aidée pour le théorique, au lieu de l’inverse.

“Et toi ? Avant le STERN, tu faisais un truc ? Tu continues peut-être ?”

“Hmm… Pas vraiment, on passait notre temps à tout reconstruire, à Espé’” commença-t-elle, songeuse “Et j’ai travaillé pas mal de temps avec le Centre Pokémon de mon quartier, je filais un coup de main à droite à gauche en ville aussi. Je fais un peu pareil maintenant, en fait… juste partout sur l’île !” Son enthousiasme après ces explications ne dura pas longtemps, et son sourire un peu fier mais surtout d’une sincérité presque innocente se réduisit bien vite. “Et puis, Esperantown a plus vraiment besoin de moi, autant aider ailleurs. Euh, du coup, c’est plutôt du plein-temps pour moi, le STERN !” s’empressa-t-elle d’ajouter.

Elle avait l’impression de s’être un peu égarée en cours de route. Quand elle était trop passionnée, elle s’y perdait, et quand c’était personnelle, elle s’y perdait aussi, alors les deux ? Elle avait bien des collègues pour qui le STERN était plus du mi-temps, d’autant plus que l’île était restée bien calme des mois durant. Certains jonglaient entre les deux jobs, d’autres étaient aussi des Challengers des arènes à côté. Ralsen, elle y allait corps et âme, si les supérieurs n’avaient aucune mission, elle trouvait quelque chose à faire, aussi insignifiante était la tâche, quelqu’un aurait toujours besoin de quelque chose. Couvrir un service chez les maîtres nageurs en manque de personnel, faire de la prévention dans les écoles et les commerces, agir en renfort chez les pompiers, tout était bon à prendre. Elle voulait faire plus, mais comment faire plus quand rien ne se passait ?

“C'est à temps plein, mais tu fais plein de choses. C'est cool de voir qu'il y a des gens vraiment là pour rendre service, au STERN”

Vraiment là, c’était un sacré mot clé. Ralsen ne pouvait pas lui en vouloir de douter de la milice, elle n’avait pas fait grand chose jusqu’à présent. Sans compter le statut et les privilèges que le badge apportait : un toit, de la nourriture, de nombreuses ressources en tout genre, de la technologie, et tout simplement un métier. L’impression de se sentir important, voire au-dessus des autres, la secouriste avait déjà été témoin de collègues un peu trop zélé dont l’attitude ne manquait pas de l’énerver et de l’attrister en même temps. Elle avait beau se dire que ces gens là étaient des exceptions, elle ne pouvait pas non plus ignorer totalement le fait que n’importe qui pouvait rejoindre le STERN. Et que ces exceptions, elles n’auraient même pas dû exister.

“Je fais de mon mieux” répondit-elle, pourtant avec peu d’assurance “J’ai l’impression qu’on attend juste pour réagir. Mais si on doit réagir… souvent ça veut juste dire que c’est déjà trop tard”

C’était comme cette inspection. Aussi bons pouvaient être tous ces systèmes de sécurité, si demain quelqu’un décidait d’attaquer ce building par surprise sans préavis, le mal serait déjà fait. Des blessés, des morts, des victimes, encore et toujours des victimes. Pas trop le genre de chose à dire à une civile, surtout fille d’un grand ponte de la Zénith, le STERN était censé être un symbole de protection, une assurance contre les dangers. La sincérité un peu brute de Lucie était contagieuse, ou plutôt, elle autorisait Ralsen a laisser exprimer sa propre franchise. Et puis elle n’était plus en service de toute façon.

“Avant, c’était facile, du crime organisé, des Pokémon destructeurs et dangereux, c’est des vrais trucs à anticiper, y avait de vrais ennemis à combattre. Mais maintenant…” Elle en disait trop ou pas assez. Elle prit le temps de réfléchir un instant “...C’est comme si on voulait combattre des fantômes. Y a de vrais criminels qui échappent à tout le monde mais pour le reste…”

Le reste. Abyss. Autant de civils guidés par le désespoir - ou justement, l’espoir ? - que de personnes mal intentionnées qui pouvaient profiter des ressources de l’organisation mystérieuse. Et l’Ombre, allez savoir ce qu’ils comptaient faire de l’Ombre. Le STERN aussi avait quelques atouts cachés, qu’ils soient exploitables en l’état ou pas, et la milice était privée, Abyss, eux, prétendaient appartenir au peuple. Il n’y avait aucun doute que les quelques actions publiques de l’organisation étaient plus que douteuses - impardonnable même - mais le fait est que leurs promesses étaient alléchantes, et leurs rangs plein d’innocents, d’âmes perdues, de personnes désireuses de se rendre utiles. Comment combattre un tel groupe ? Qui était source de vrai danger ? Qui ne voulait simplement que ramener un proche à la vie ? Qui pensait seulement pouvoir aider les autres ? Les frontières entre les camps étaient bien plus floue que par le passé.

“Ils valent pas mieux que les autres organisations qui ont sévi sur l'île. Faut être idiot pour les avoir rejoint après ce qu'il s'est passé quand ils se sont révélés au public. Ou désespéré"

Si Ralsen s’était déjà habituée à la façon de parler de Lucie, elle était tout de même étonnée d’un ton aussi acerbe. Certes, elle avait l’air bien loin de briller par sa positivité et son optimisme, qui semblaient pour le moins absents de son vocabulaire, mais tout de même. Elle commença à se demander si les marques de la rousse venait de la première intervention d’Abyss, avant de balayer bien vite l’idée. Trop nettes, trop anciennes.

“Peut être… Je peux quand même pas en vouloir à ceux qui les rejoignent. Idiots, je sais pas, désespérés… probablement” Elle parlait avec une douceur qui contrastait étrangement face aux sèches paroles de son interlocutrice “Ils ont reconstruit une ville qui a beaucoup souffert et promettent de ramener les morts à la vie. Si le timing avait été différent…” Ou si elle n’avait jamais réussi à faire son deuil “Je sais pas, j’aurais peut être pu les rejoindre”

Cette question, elle se l’était déjà posée de nombreuses fois. Gamine endeuillée, elle aurait pu foncer tête baisser dans la gueule du monstre, c’était certain. Sans faire la paix avec la mort de son ami et cet atroce sentiment de culpabilité qui s’accrochait parfois encore, c’était probable. Si elle avait perdu quelqu’un d’autre durant la noyade sous les ombres, c’était aussi une possibilité. Et maintenant ? Aucune chance. C’est ce qu’elle essayait de se dire.

“Vos supérieurs vous laissent pas agir, contre ceux qui sont déjà connus ? Comme Walter Blake, y a pas besoin d'attendre plus longtemps pour voir qu'il traîne déjà des cadavres derrière lui.”

Ah, ce type là. Ralsen était déjà ennuyée par leur manque d’action concrète, mais ce genre de cas là, c’était encore plus qu’un mystère pour elle. Ne pas agir contre Abyss directement, très bien, ça c’était compréhensible. Mais ce genre de criminel ? Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il se passait à la tête du STERN pour les laisser courir en liberté. Que des soldats au bas de l’échelle ne se permettent pas une intervention, d’accord, mais leurs généraux ? La seule conclusion à laquelle elle était venue, c’est qu’ils avaient un plan sur le long terme, qu’ils se gardaient bien de divulguer.

“De ce que je sais il a pas été trop aperçu depuis un moment. Y a surement une raison, genre… C’est un des seuls membres importants d’Abyss qu’on connaît, c’est peut être pour, je sais pas, essayer d’atteindre les autres ?”

Elle n’eut pas le loisir de continuer une quelconque réflexion que l’ascenseur leur annonça leur arrivée d’un ding ! harmonieux. Déjà ? Ralsen n’avait pas vu le temps passer - ni les étages. Le rez-de-chaussée avait l’air beaucoup plus guidé que le reste de l’immeuble, pas étonnant puisqu’il comprenait l’accueil. La sortie n’était plus loin et par extension, la fin de leur conversation aussi. Elle laissa sa guide sortir en premier de la cage d’ascenseur, non pas qu’elle avait encore besoin d’aide pour trouver la porte cette fois, mais simplement par courtoisie. Est-ce que c’était trop, de la remercier encore une fois avant de partir chacune de leur côté ? Les aux revoirs en dehors du cadre professionnel la rendait toujours un peu nerveuse.

“Euh… Merci encore de m’avoir accompagnée, je t’en dois une !”

“Pas de quoi”

Ralsen avait l’habitude des rencontres éphémères avec son travail, et elle avait appris à en faire ressortir le positif. Cette rencontre-là, elle avait beau avoir eu lieu grâce à son boulot, ce n’était pas non plus dans un cadre professionnel. Elle aurait bien aimé discuter davantage, mais tant pis, elle avait l’habitu-

“Dis, si t'as rien de prévu... ça te dit de boire un verre quelque part? Ce sera toujours plus sympa que rentrer pour entendre ma mère parler boulot”

Oh

Déjà préparée psychologiquement à faire ses aurevoirs à Lucie, Ralsen resta sans voix un bref instant avant de reprendre un peu de contenance. Elle vérifia rapidement les horaires de trains - juste au cas ou, ce n’était pas la première fois qu’elle traînait après une mission ni qu’elle tardait à rentrer, surtout à Mégapagopolis. La ville était tellement grande, elle avait beau connaître les rues par cœur ou presque pour s’y diriger, elle était convaincue qu’elle était loin d’avoir vu tout ce que la capitale avait à offrir.

“Okay ! J’ai large le temps. Mais c’est moi qui paie !” répondit-elle du ton le plus ferme qu’il lui était possible d’avoir, autrement dit, ferme de rien du tout. “T’as un endroit en tête ? Sinon, hmm…”

Loin dans l’idée de la secouriste de briser les habitudes de Lucie, elle était ici tous les week-end après tout, elle préférait poser la question. Sinon, Ralsen avait une liste soigneusement préparée d’endroits qu’elle n’avait pas encore fréquenté, elle essayait toujours de tester des choses à droite à gauche à chaque visite, ici comme dans les autres villes. Ses vacances un peu partout sur l’île dataient de son enfance, beaucoup de choses avaient changé depuis, et ce n’était pas en passant quelques jours ici et là qu’on pouvait tout voir, même en étant natif de l’île.

“Oh, y a un endroit pas loin avec de bonnes viennoiseries” proposa-t-elle en consultant son téléphone pour vérifier son carnet d’adresses - le fait d’avoir un petit creux influençait légèrement son choix “C’est comme tu veux !” conclua-t-elle avec son habituel sourire rayonnant. C’était l’idée de Lucie, autant lui laisser le choix, et Ralsen paierait pour la remercier de l’avoir aider, même si elle devait se battre pour attraper l’addition en premier.