[Terminé][Strauss]Quand les rats quittent le navire[S3]

« Néanmoins, avant d’accepter votre offre, monsieur Blake, je souhaiterais vous demander ce que vous savez réellement d’Abyss ? Quel est son but ? Qu’ont-ils l’intention de faire avec cette créature ? »    

Je referme l'écran de ma tablette, après avoir écouté ces dernières paroles. Toute la base était placée sous l'oeil attentif de caméra, et les micros retranscrivaient fidèlement les paroles des occupants de la base. Ainsi, Strauss a décidé de retourner sa veste, et d'aller vers Abyss. Je suis donc bien seul. Et il est temps pour moi de quitter le navire. Mais pas tout de suite. Certes, j'ai volé le plus essentiel : les informations, et de l'argent liquide. Pas mal d'argent liquide. Assez, avec les passeports, pour recommencer une nouvelle vie, ailleurs, et surtout, loin. Mais ce n'est pas tout. L'argent contribue grandement au bonheur, certes, mais il ne fait pas tout. La base regorgeait de trésors inestimables, trésors que j'ai parfois moi-même volé. Hors de question de laisser le fruit de mon dur labeur à des empaffés, comme les sbires restants, merci bien. Comme j'ai été le chef des renseignements, aussi bien internes qu'externes, je sais où sont rangés chaque tableau, soit parce que j'ai donné l'ordre de l'y mettre, soit parce que je les ai moi-même accrochés. Ils sont tous dans le hall, personne ne regarde encore par ici. C'est l'occasion rêvée pour agir.

Tout d'abord, les entrepôts. Ils sont assez bien garnis en objets de tout genre, statues, vases, le tout volé à différents musées ou dans des villas de gros bonnets à travers tout l'île. Les vider ne sera pas aisé, aussi toute mon équipe Pokémon doit-elle s'y mettre. Je ne vais pas tout déplacer maintenant, pas complètement, je n'aurai jamais le temps. Aussi, voilà quel est le plan : mon équipe se déplace vers des caches, dispersées dans le désert, connues de moi seul. La probabilité quelles soient toutes trouvées avant le petit matin est très faible, voire quasi nulle. J'aurai amplement le temps d'aller les vider une par une plus tard, lorsque les choses se seront calmées. Je regarde ma montre. Déjà trois heures perdues là-dessus. Arceus, que le temps passe vite. Plus que les tableaux accrochés sur les murs.

On pouvait reconnaître une chose à Eon, il avait de bon goût en question de tableaux, pensé-je en décrochant une toile représentant le Palais Chaydeuvre, à l'époque de la Grande Guerre d'il y a 3000 ans. Et le plus risible dans tout ça, c'est que c'est moi qui ai volé au moins la moitié de ces tableaux. Pour quelle reconnaissance ? Aucune. C'est presque de rage que je décroche les tableaux. Arsène doit prendre la relève, et il les décroche avec plus de douceur que moi, malgré ses grandes griffes. Je souffle un bon coup. Ça y est, c'est passé. Eon est parti, peut être même mort. Il ne me fera plus jamais rien. Peut être que je pense ça pour me convaincre moi-même. Mais je suis là, dans votre salon privé, à décrocher vos tableaux un à un. Vous êtes fâchés, Monsieur Fawkes ? Vous allez vous énerver ? Vous allez me frapper, encore ? Non, vous n'allez rien faire. Parce que vous n'êtes plus là. Arsène me regarde serré les poings, les yeux sur le fauteuil vide, ses griffes crissant sur le sol en marbre.

Il ne reste plus qu'une seule allée dans la base. Je ne suis quasiment jamais venu dans cette aile ci. Je crois que c'est le bureau d'un autre commandant, mais j'ai oublié lequel... En tout cas, il a aussi bon goût que Eon, le constat s'impose de lui-même lorsque je pénètre dans l'anti-chambre. Mon regard se porte alors au-dessus de la cheminée. Je m'arrête net. Là, accroché au-dessus de l'âtre, un tableau que je reconnaîtrais entre mille. Le tout premier tableau que j'ai volé pour le compte de la Némésis. Je le pensais à l'abri, quelque part dans un entrepôt miteux. Mais il était bien là. La Création de l'univers, l'oeuvre d'un peintre de Sinnoh. Sur une toile rectangulaire avec des proportions importantes. Une peinture à l'huile, l'artiste à représenter les trois Dragons de la création originelle, enfantés d'après les mythes par Arceus lui-même. Des couches successives de bleu, d'azur jusqu'au profond bleu royal, ont donné forme à Dialga. Des tâches nacrées de mauve et de rose qui donnent son corps à Palkia. Et au-dessus d'eux, les dominant pleinement, des coups de pinceau, violet, gris, et finalement noir fourchés de pointes d'un rouge sang. Giratina, le Banni. Même moi qui ne suit pas adepte de l'art, je frissonne devant un telle tableau. Magnifique composition des couleurs. Avec un respect presque religieux, je m'approche de la peinture.

"Salut, ma jolie. Ça va faire quoi... Trois ans qu'on s'est pas vus ? Aujourd'hui, tu rentres à la maison."

La maison.. Quelle maison ? Rien ne m'attend plus, dehors. C'est le bond vers l'inconnu. Mais avec l'argent obtenu en vendant une partie de ces antiquités, j'aurais de quoi en acheter plein, des maisons. C'est alors qu'un bruit tonne, dans le couloir, derrière les doubles portes de l'anti-chambre. J'ai le temps de tourner la tête pour voir arriver le propriétaire des lieux. Je me crispe. C'est vrai, je me souviens maintenant qui règne dans cette aile de la base...

"Alexander Strauss..." Je déclare alors que mon collègue se plante au milieu de la salle.

Je reste immobile, mes mains sur le tableau. Il ne faut toute fois pas se fier aux apparences, je pourrais très bien dégainer une Poké Ball si j'y suis obligé.

« Je me disais bien que je ne vous avais pas vu durant la réunion, mais je ne m’attendais pas à vous voir ici… »

J'ai fait la bêtise de me croire à l'abri, aussi suis-je à visage découvert. Ça donne à mon interlocuteur l'occasion de détailler un peu plus mon visage, et de le graver dans sa mémoire. Ce qui n'est pas bon dans l'hypothèse où nous serons plus tard amener à être ennemis, il pourra alors me reconnaître. Mais nous n'en sommes pas encore là. Au moins, ainsi à nu, il a l'occasion de voir un sourire narquois tendre mes lèvres.

"Ho, la réunion... J'aurais adoré y participer, mais comment dire... Je n'avais pas très envie de voir un ramassis de sbires, de gamins, et de traîtres suppôts d'Abyss. Même si j'aurais aimé voir votre joli visage en direct, et pas à travers une caméra, alors que vous parliez de rejoindre Abyss. Attendez, cela vous mène directement dans la troisième catégorie. Ne tire pas cet tête, Alexander -oui, maintenant que nos titres de Commandants sont derrière nous, je me permets d'être plus familier. Je ne te juge pas le moins du monde. On fait tous ce qu'on à a faire pour réussir nos objectifs. Eon a été, je pense, une déception tout autant pour toi que pour moi. Mais je ne suis pas prêt à porter à nouveau un collier et être le Ponchien de quelqu'un."

Je marque une pause. J'en profite également pour enlever mes mains du tableau, avant que mon interlocuteur ne se transforme en Démolosse, babines retroussées, prêt à me mordre.

"Pas celui d'Abyss, en tout cas." Je ponctue la phrase d'un clin d’œil complice.

La petite plaisanterie, bien que lourde, n'a pas l'air de décrisper Alex. En même temps, il a toujours été le mécène de la Team, et je menace ces tableaux. Quoique, les mécènes étaient plutôt les protecteurs des artistes, Strauss lui les dépouillait. Un séduisant voleur d’œuvres d'art, en somme. Mais pour en revenir à la fin de la phrase de Strauss :

"Croyez-moi, j'avais complètement oublié qu'il s'agissait de votre bureau, ne prenez pas ma tentative de vol personnellement... Mais j'admets que j'aurais peut être réfléchi à deux avant de profaner votre bureau, en ayant en tête l'information qu'il s'agissait du vôtre."

Je hausse les bras en signe de bonne foi, montrant que je n'ai pas d'intention belliqueuse.

« Je préférerais ne pas avoir à vous affronter ici, cela risquerait de mettre en danger ces merveilles, mais si vous comptez me les voler, je ne vais pas avoir le choix. A moins que nous puissions nous mettre d’accord en discutant. »

Je ne me dépars pas de mon sourire.

"Et moi donc. C'est toujours fâcheux d'attaquer un ancien collègue." Et ça attire d'éventuels gardes, aussi. Mais je prends soin de garder cet argument là dans un coin de ma tête. "Crois moi ou non, tu es le seul avec qui j'ai vraiment eu un "lien" dans le haut commandement de la Némésis. Et nous n'avons eu qu'une seule vraie discussion. C'est te dire à quel point cette "équipé" était d'un triste..."

Mains dans les poches, toujours à proximité des Poké Ball, il ne faut pas exagérer non plus, je reste face à un autre dresseur de haut niveau, je me rapproche tranquillement, sans paraître menaçant. Je m'arrête à deux pas de mon ancien collègue.

"Je choisis donc l'option où on ne se tape pas dessus. Mais attention, si tu tentes quelque chose de stupide, hé bien je serais obligé de mordre."

Je le laisse méditer sur cette phrase, tournant les talons pour m'enfoncer un peu plus dans le bureau. Mon regard se pose finalement sur les canapés. Magnifiques, et ils ont l'air tout autant confortables. Je ne peux pas résister, et je m'assois dedans, prenant mes aises. Je lance un regard à mon hôte, et d'un signe de la main, je l'invite à s'assoir dans sa propre anti chambre.

"Nous avons beaucoup à parler. Du tableau en premier lieu, mais aussi de ta décision de rejoindre Abyss. Je suis curieux d'entendre les raisons qui motivent ton choix, du moins j'espère que tu seras loquace à ce sujet. Oh, et je sais pertinemment que tu n'appelleras personne à la rescousse. Ça ferait trop de casse. Sur les tableaux, j'entends biens."

Je penche la tête sur le côté.

"Très bien, Alexander. Je t'écoute. Dis moi, pourquoi devrais-je accepter de te céder un tableau que j'ai moi-même dérober ?"

Mon interlocuteur semble, peut être pas adouci, mais intrigué par mes compliments. Tant mieux. Même si, de vous à moi, j'étais vraiment honnête en parlant de son visage. Oui, allez-y, traitez moi de superficiel et jetez moi la pierre, mais vous ne me ferez jamais croire que vous n'aimez pas non plus un coup d'oeil agréable de temps à autre. Le plus important reste que les traces d'hostilité ont disparu.

Il exige que je lui donne mon nom ? Ça va poser problème, ça. Certes, il est la personne avec qui j'ai eu le plus de contact, ça ne suffit pas pour que je lui accorde ma totale confiance. Qui sait ce qu'il pourrait en faire, surtout s'il part rejoindre Abyss, et que je perds tout contact avec lui. Qu'une organisation criminelle qui est en train de monter en puissance, ou les autorités, aient mon vrai nom, très peu pour moi. Au pire, je n'aurais qu'à lui mentir.

Je sais que c'est moi qui ait décidé de me rapprocher de lui, mais... Il se dégage vraiment quelque chose d'intimidant de mon interlocuteur. Je n'avais pas remarqué que j'étais plus petit, même de quelques centimètres. Ça ne m'aide pas vraiment à être crédible. Je fais une petite moue.

« Et je serais obligé de te punir… »

Ho, huh. Je n'étais pas prêt pour cette réponse. J'avais simplement dit ça pour évoquer l'image d'un Grahyèna qui montre les crocs, agressif... C'est moi où tout ça a une connotation vaguement érotique ? Mais non, je dois me faire des idées. Ça n'empêche pas un léger frisson de me parcourir l'échine. Et cela ne va pas en s'arrangeant alors que nous nous asseyons. Alexander s'installe à côté de moi, alors que je pensais qu'il préférerait plutôt le canapé d'en face, pour me faire face. Ce n'est pas un peu trop familier ? C'est moi qui ai parlé de briser les barrières de la formalité, mais ça n'a rien à voir avec lui qui m'expose son visage et ses yeux bleu. Je baisse alors les yeux, mon regard finit sur la base de son cou, et il début de son buste. Mauvaise idée. Je reviens donc à la position initiale, avec ces yeux un peu captivant à mon goût.

« Car j’estime qu’il sera plus en sécurité avec moi, tout simplement, répondit-il au tac au tac une fois de plus, avant de déclarer en jetant un coup d’œil aux tableaux : La plupart des gens, et sans doute encore davantage les criminels, ne voient dans ces œuvres que l’argent qu’il vaut. Mais l’argent n’est qu’une construction sociale… très utile pour bien vivre dans notre société, certes, mais ce n’est rien comparé à la beauté d’une œuvre… ou d’une personne d’ailleurs

J'étais sur le point d'ouvrir la bouche, mais alors vint sa dernière phrase... Je reste quelques instants la bouche entr'ouverte. Qu'essaie-t-il d'insinuer, à la fin ? Mais je reprends vite mes esprits, je n'ai pas envie de passer pour un imbécile à rester ainsi la bouche ouverte.

"L'argent est important, c'est vrai. Mais de ce côté là, j'en ai bien suffisamment. J'ai pillé les entrepôts quand personne ne regardait, trop apeurés par la nouvelle du démantèlement de notre organisation, et ensuite, trop occupés à boire les paroles d'Abyss, et à se demander ce qu'ils allaient faire. Les comptes, les objets, les armes, je ne dis pas que j'ai vidé toute la base, mais assez pour avoir une petite fortune. Je ne vendrai donc pas ce tableau. C'est le tout premier tableau que j'ai volé, tu sais. Il a une certaine valeur sentimentale. A vrai, je le verrai bien dans une petite villa, en bord de mer. Je suis sûr qu'il sublimerait le paysage."

Je suis on ne peut plus sincère. Les couleurs, ocre, pourpre, perle, violet, et les différentes teintes de bleus se retrouveraient parfaitement dans le paysage d'un crépuscule sur la mer. Lorsque j'aurais effectivement une villa en bord de mer. L'un des premiers achats que j'effectuerai avec mon argent si mal acquis. Alexander réussi à capter à nouveau mon intention en poursuivant :

« Quant à ma décision de joindre Abyss, elle est purement matérielle, pour le moment du moins. Leurs objectifs restent nébuleux, mais ils sont les seuls à m’assurer une sécurité physique et financière. Je n’ai pas envie de passer par la case prison, vois-tu ? leurs tenues manquent de goût… »

Je souris.

"Je comprends. On fait ce qu'il faut, pour survivre. Et les choses se mettent déjà à nouveau en place. Abyss va remplacer la Némésis, et la Ligue va probablement se renforcer suite à la cuisante baffe qu'elle vient de se prendre, au cratère. Peut être même qu'au milieu de tout ça, de nouvelles organisations vont émerger, qui sait. Quant à la prison, je ne sais pas vraiment à quoi ressemble leurs uniformes, je n'y suis jamais allé." J'ose me vanter, aussi orgueilleux qu'un coq.

Mais il y a en effet beaucoup d'opportunités qui vont s'ouvrir...

« Et toi, que comptes-tu faire ? Ne crains-tu pas de finir derrière les barreaux  ?

J'ai le regard dans le vague, alors que je réfléchis à la question. Qu'est-ce que je veux, au fond ? Aider les Pokémon, oui. Mais ce n'est qui chose, une envie. Une seule envie ne peut pas définir une seule personne. Si je fais le résumé des trois dernières années qui se sont écoulées, j'ai placé toute ma confiance en Éon, mettant un terme à ma carrière de simple voleur itinérant. L'homme s'est volatilisé sans m'aider à accomplir mes idéaux. Ensuite, j'ai voulu voir dans la Némésis une nouvelle famille, un groupe dans lequel je pourrais avoir confiance. Une nouvelle cause perdue, la trop grande majorité n'avait été que des anonymes qui ne souhaitaient rien de plus qu'un peu de piment dans leur vie. Et maintenant... Je crois que je ne sais plus moi-même quelle direction prendre.

"Ne t'en fais pas pour moi, je sais me faire discret, la police ne me mettra pas la main dessus de si tôt."

Alors, nouveau mouvement totalement imprévu. Il pose sa main sur ma joue. Je crois que j'ai raté un battement de cœur. "Ce serait dommage, ce beau visage risquerait d’être abîmé…", ajoute-t-il même. Je ne peux pas empêcher le rose de colorer légèrement mes joues. Je crois que la dernière fois que quelqu'un a eu ce genre de geste de tendresse envers moi... Et bien, je ne m'en rappelle plus. Pas durant ces trois dernières année, en tout cas. Sa main est chaude, et la caresse a quelque chose de réconfortant.

"Je crois... Simplement que j'en ai marre de tout ça. Les grandes organisations criminelles. Peut être que je veux retrouver quelque chose de plus... Normal. Pas pour de bon, je reste un voleur. Mais au moins pour quelques temps... "

Je n'ajoute rien d'autre, un peu géné de me confier ainsi. Et il a toujours sa main sur ma joue, pour le moment. Plus elle reste là, plus je sens le rouge me monter aux joues, avec une légère montée de température à la tête.

La discussion se prolonge. Alexander semble bien intéressé par l'idée d'une villa, et je pense qu'il a suffisamment les moyens de s'en acheter une.

« Une belle idée…Tu ne crains donc pas les représailles de tes anciens collègues si jamais ils apprennent que tu leur as volé leurs biens, voilà qui est audacieux. »

Je hausse les épaules.

"Quels collègues ? Tous ces sbires qui n'ont pas le niveau ? Eon Fawkes, le disparu ? Pareillement pour Adweyrin et Daeron, nos confrères, enfin, ex-confrères, portés disparus. En dehors d'eux, il n'y a aucun membre de la Némésis assez puissant ou assez bon pour venir me chercher des noises. Oh, je ne t'oublie pas, mais je me dois d'être honnête, très cher. Tu ne me semblais pas être un foudre de guerre, et encore moins doublé d'un revanchard. Je ne pensais vraiment plus te revoir."

Je pense vraiment ce que je dis. Eon et ces deux légendes hors d'état de nuire, il ne restait plus de Commandant de grande envergure de la Némésis dans la nature. Seul Abyss peut m'inquiéter, mais bon, ils n'ont jamais vu mon vrai visage. Peu de gens l'ont vu, Alexander est même bien être le tout premier gradé de la Némésis, hors Eon bien entendu. Le vieux n'était pas assez fou pour confier le service de ses renseignements à un homme dont il n'aurait jamais connu l'identité, ni vu le visage.

« Et j’espère que tu n’auras jamais à y aller,, continue alors Alexander. Il... Il a quelque chose d'adorable en disant ça. Je fais mine de me gratter pour ne pas avoir à le regarder dans les yeux.

Le futur est incertain et plein de possibilités en effet, mais je suis un homme rationnel. Abyss a désormais la plus grosse force de frappe avec la créature de l’ombre, il ne serait pas prudent de ma part de préférer jouer cavalier seul que de les rejoindre. »

Je hausse à nouveau les épaules. Peut être bien... En tout cas, je trouve Alexander courageux, voire audacieux, de prendre une telle décision. Je ne me sens pas capable de rejoindre Abyss, pas.. Pas comme ça, en tout cas. Peut être qu'au fond, je n'ai jamais eu la trempe pour être Commandant dès le départ. Mais je l'ai fait, ça m'a rendu puissant, certes. Mais aussi fragile. Je ne sais plus quoi penser, plus où j'en suis. J'aurais voulu, dans une telle situation, avoir eu les épaules de Strauss, pour porter ce fardeau sans peine. Il a tout pour être leader, et surtout le charisme, avec son magnifique visage, et son aura.

« Je l’espère, je n’aimerais pas avoir à te secourir, après tout, je ne t’ai toujours pas rendu la pareille pour m’avoir laissé les deux tableaux que je convoitais la dernière fois. »

Je balaie la chose d'un geste lent de la main.

"Considère que tu ne me dois rien. Après tout, tu m'as aussi aidé. Et puis franchement... Je ne vois pas ce que je peux te demander en retour. Quant à l'idée que tu viennes me sauver... Je suis assez grand pour me débrouiller, ne t'en fais pas. Et puis, ce serait ridicule, imagine nous, une prison en ruines derrière nous, et toi me portant dans tes bras comme une princesse potiche. Ce "tableau" doit te sembler bien laid, non ?" Je tente de sourire, un peu trop nerveux. Il ne faut pas oublier que depuis, Alex tient ma joue en otage avec sa main. Je suis complètement crispé. Une main sur la joue n'était pas anodine, certes, mais il ne faut pas non plus que je saute sur l'hypothèse que Alexander est intéressé par les hommes, et encore moins sur l'hypothèse qu'il me fait du charme.

« Heureusement pour nous, les grandes organisations n’empêchent pas d’avoir une vie normale… au moins sur certains aspects. »

Je m'apprête à ouvrir la bouche pour répondre, lorsque l'improbable se produisit. Alexander décale sa main pour la poser sur ma jambe. Si un simple toucher sur la joue avait suffit à m'enflammer, une approche sur cette zone un peu sensible provoque une véritable décharge. Et ce regard, il ne peut signifier qu'une seule chose. Du désir brûle dans le regard de Alexander. Du désir, porté sur moi. Et je pense qu'on est loin d'une simple... "proposition" pour récupérer un tableau. Une fois le coup de l'émotion passé, je me ressaisis. Je passe ma main sur celle de mon interlocuteur, non sans provoquer à nouveau un petit picotement.

"Je n'ai pas envie de ce genre de "remerciements". Je dois vraiment lutter pour ne pas qu'un petit "démon" vienne poindre le bout du nez, et prouver le contraire.

C'est tout bonnement invraisemblable. Et pourtant, je tiens sa main entre les miennes, incapable de la lâcher. La chaleur a quelque chose de rassurant. Je dois vraiment être pathétique, là comme ça, au fond du trou. Je suis partagé entre mon orgueil, de ne pas me montrer faible, et l'envie, la frustration de trois ans d'absence de la moindre tendresse, de tout contact chaleureux. Alors, une question germe dans mon esprit, et ose franchir la prison de mes lèvres :

"Dis moi, sincèrement.C'est juste physique, ou il y a autre chose ?"

Pendant que je lui laisse le temps de réfléchir, je n'ai pas la force d'aller chercher son regard. Aussi, je me contente de regarder sa main, sa main que je continue de cajoler entre les miennes.

HRP:

Ce que j'en avais pensé ? J'ai eu une décharge, un délicieux frisson le long de l'échine tout simplement. Je n'en étais pas à mon premier baiser, mais ça faisait bien des années, depuis mon entrée à la Némésis, que je m'étais interdit d'entretenir une relation quelconque. C'était presque comme une renaissance, se débarrasser d'une identité, d'une contrainte, et de pouvoir déployer ses ailes à nouveau, débarrassé d'un poids mort. En cette nuit qui commence à devenir magique, j'ai l'impression que pas mal de choses deviennent possibles. Comme là, sur ce canapé, il pourrait se passer des choses "magiques".

Et soudain, le sursaut qui ramène à la réalité. Il ne s'agit que de la porte qui s'ouvre un peu, à cause d'un courant d'air. Mon cœur a raté un battement en entendant le bruit, avant de marteler ma cage thoracique.

C'est vrai, je suis encore dans cette base...

Je laisse mon regard parcourir la pièce qui m'entoure, jusqu'à revenir sur le visage d'Alex. Il est semblable à un diamant dans son écrin, mais il n'en reste pas moins que l'écrin en question est une base qui risque potentiellement d'être mise à feu et à sang. Je n'ai pas le temps de m'amuser à ça, je conclue le cœur serré. En plus, je ne sais pas vraiment quoi penser d'Abyss. Rien de bon, pour l'instant. Est-ce que ça pourrait réellement marcher s'il rejoint leurs rangs, et que je choisis une autre voie ? Je ne peux tirer qu'une conclusion : pour l'instant, tout ça semble précipité et compliqué. Même si l'instant fut aussi délicieux que fugace, il faudrait peut être y mettre un terme. Pour l'instant, du moins.

Contemplant toujours les yeux d'Alex, je passe alors une main audacieuse sur sa joue, et je me mets à le caresser en retour.

Le mettant ainsi en confiance, je lui dis dans un souffle :

Moi aussi j'ai un remerciement très spécial pour toi, fais moi confiance. Je dénoue alors ma cravate, tranquillement, pour qu'il ne se doute de rien. Je saisis alors délicatement ses miens entre les miennes... Et je commence ainsi double nœud, faisant une véritable paire de menottes en tissu. Laissant ainsi Alex entravé, je me relève.

Ne le prends pas mal, Strauss. Simplement, je ne sais pas à quel point je peux te faire confiance.

Je m'esquive alors, à l'autre bout de la pièce, m'approchant du mur où sont accrochés le tableau. Je ne suis vraiment pas fier de ce que j'ai fait, ce soir, et j'ai l'impression que, si je vais jusqu'au bout, je le regretterais toute ma vie. Alors, lorsque je décroche le tableau, je le dépose simplement contre le mur, et enfin je regarde Alex. Que va-t-il faire ? Se libérer ? Me sauter à la gorge pour m'évincer ?

La Création de l'Univers... le premier tableau que j'ai jamais volé. Je te laisse pour l'heure, mais sois assuré que je tiens à ce tableau. Un jour prochain, je viendrai le récupérer... Mais pas maintenant.

Je regarde cet homme qui m'intrigue énormément, cet homme qui m'a rappelé la partie de désir charnelle en moi. Quelle émotion modèle à présent son visage ? Rire, colère, indifférence ?

Ha, il semblerait que mon petit message romantique soit mal passé. Mea culpa, j'aurais dû être bien plus explicite. En fait, je n'ai pas véritablement envie du tableau en soi... Ce qui m'intéressait à présent, ce serait le jeu du Chaglam et du Rattata, de devoir retrouver le tableau une fois qu'il ne sera plus en sa possession, et par la même occasion, son propriétaire. Il faut dire que la dernière que j'ai eu une amourette remonte à... Bien trop longtemps, j'ai dû perdre la main. Profitant que Alex se soit rapproché pour m'embrasser, je passe mes doigts sous son menton pour le grattouiller à cet endroit.

Voyons, je te pensais bien plus cupide que ça... Pourquoi être obligé de choisir entre les deux ? Enfin, peut être...

Oui, peut être. Je ne peux pas approuver le fait qu'il rejoigne Abyss, sachant que je ne porte pas l'organisation dans mon cœur. Conserver une force de frappe entre les mains de simples humains était à mon sens, pure folie. Il faudrait que je vois à quel point Alexander serait impliqué, pour voir si une relation était envisageable. Et qui sait, peut être sortir le Noble du Mal de cette spirale ? Un frisson d'excitation parcourt mon corps à cette perspective. Deux amants, deux camps opposés. Se rencontrer la nuit, dissimulés à la vue du reste du monde... La perspective est aguichante, tout autant que l'anatomie généreuse de son interlocuteur.

Un an. Je prends à nouveau sa main entre les mains, pour pouvoir la frotter contre ma joue. Ça a quelque chose de réconfortant, de sentir sa poigne si près de moi, en sentant qu'il pourrait être si ferme...
[color#cc33ff]Donne moi un an. Dans un an, j'aurai bâti un complexe hôtelier qui me permettra de rebondir après la Némésis. Une fois ce projet concrétisé, je serai prêt à... Envisager, de concrétiser quelque chose avec toi. Et puis comme ça, tu pourras passer au SPA, je te masserai moi-même.[/color] J'ai une petite note fluette dans la voix en proposant cela.

Mais je doute que tu viennes aussi facilement, vrai ? Je peux me tromper, toutefois. Mais il me semble que tu es quelque peu joueur... Je te propose de conserver ce tableau. Dans un an, je viendrai te retrouver, peu importe où tu te caches. Si je retrouve le tableau ce jour là, alors je sais que tu voudras toujours bien de moi.

Je dépose un dernier baiser sur les lèvres de mon interlocuteur. Il faut vraiment que j'y aille, cette fois-ci... Pas sans imprimer une dernière fois l'image d'Alex dans mon esprit. Après tout, ce sera peut-être la dernière que je vais le voir. Sans rien ajouter de plus, je me dirige vers la porte, et je la referme derrière moi.