Magic mirror on the wall, who's the ████████ one of all? [Solo]

Les murs mornes de la base d’Abyss manquaient cruellement de couleurs. Alyx n’était pas d’humeur à les décorer ce jour-là, elle était venue avec une idée bien précise en tête. Elle avait même beaucoup trop de choses qui tempêtaient  au creux de son crâne et le brouhaha commençait à devenir pénible. Elle n’avait pas envie de croiser qui que ce soit dans les passages les plus fréquentés des tours, jusqu’à atteindre les étages interdits au menu fretin, alors elle avait attendu l’heure la plus calme. Elle comptait sur sa présence effacée pour faire le reste.

Tock était à sa place habituelle, sur l’épaule de sa dresseuse. Elle n’arrivait pas à se débarrasser de cet air soucieux qu’elle avait depuis leur  arrivée dans la ville phénix. Elle sentait bien que l’humeur d’Alyx ne tenait qu’à un fil. Et ce que sa dresseuse comptait faire n’arrangeait en rien son inquiétude.

Abyss ne menait pas large depuis quelques mois. Un manque d’activité qui n’avait fait que rendre tous ses suivants impatients, un gigantesque fiasco qui avait terni un peu plus leur image déjà peu reluisante et fichu une mission importante en l’air avec la perte d’un objet essentiel, une ancienne pièce importante du plateau de jeu qui avait été réduit à un simple bouc émissaire pour pallier aux erreurs de quelqu’un d’autre et qui se déclarait maintenant l’ennemi de l’organisation qui l’avait accueilli.

Alyx n’en aurait pas grand chose à faire si on ne lui avait pas collé une nouvelle étiquette sur le dos quand elle ne regardait pas, pile avant que tout parte en vrille. Rien n’avait fondamentalement changé, et en apparence, elle avait même bien plus d’avantages. Plus d’infos, plus d’accès, plus, plus, plus. Elle guettait la contrepartie, le prix à payer. L’égalité entre hauts gradés n’était qu’une absurde mascarade et si ses chers collègues ne s’en étaient pas encore rendu compte, tant pis pour eux. Il y avait bien un noyau dans la confidence qui en savait encore plus et qui tirait les ficelles.

Peut-être qu’ils s’attendaient à une plus grande implication de sa part en lui donnant une promotion. Ou alors ils cherchaient un nouveau bouffon à afficher en premier plan après s’être stupidement débarrassé du dernier. Et si c’était le cas, le niveau d’idiotie dépassait la stratosphère, si elle était discrète ce n’était pas pour rien.

Et puis, elle en faisait, des efforts, pour leurs beaux yeux bleus. Elle cherchait le deuxième fragment convoité, quand ça lui venait à l’esprit.

Non, ce qui allait déterminer cette implication si rigoureuse implicitement demandée, ou du moins, le niveau attendu, c’était la petite visite qu’elle allait rendre à un autre étrange objet. L’information avait été dévoilée publiquement, le Miroir était libre d’accès - plus ou moins - pour conforter les suivants d’Abyss, qu’ils soient des agents à part entière ou de simples civils qui les soutenaient ouvertement. C’était censé confirmer que leur promesse était à portée de main. Qu’ils pouvaient la tenir. Qu’ils allaient la tenir.

Alyx n’avait jamais vraiment considéré cette promesse pour elle-même, elle était simplement là pour le job qu’ils pouvaient offrir. Il fallait dire qu’elle n’avait pas grand monde à ramener. Si son père devait revenir en ce monde, elle ne le laisserait pas y rester bien longtemps. Si sa mère devait revenir en ce monde, elle n’aurait rien ni personne pour l’accueillir si ce n’est le chagrin d’avoir tout perdu, parce qu’il n’y avait plus rien à sauver.

Et il y avait la troisième option.

Qui n’en était pas vraiment une. Ou peut-être que si. Et c’était là, tout le problème. Il y avait peut-être une possibilité pour enfin connaître la vérité. Et elle n’était pas certaine de vouloir cette confirmation. Jeter un œil dans la boîte, et figer enfin l’état de cette personne. Réelle. Irréelle. Tant qu’elle ne regardait pas, elle pouvait ne pas y penser. Tant qu’elle ne regardait pas, les deux états coéxistaient. Elle ne savait même pas quelle réponse elle désirait. Les deux lui donnaient raison, pour des raisons différentes. Les deux avaient des implications terrifiantes, pour des raisons différentes.

Se souvenir de quelqu’un qui n’avait jamais existé.

Et l’avoir perdu.

Avoir oublié quelqu’un qui avait existé.

Et l’avoir perdu.

Elle se souvenait assez pour ne pas avoir oublié, mais elle avait assez oublié pour ne plus se souvenir.

Un flou insupportable. À peine un nom qui ne se formait pas vraiment. À peine les traits d’un visage. La sensation d’avoir perdu quelqu’un. Mais elle avait aussi perdu une part d'elle-même ce jour-là. Enfant, elle avait peut-être confondu les deux. Tout s’était tellement mélangé. Un amalgame chaotique de pensées et d'émotions dans sa petite tête de gamine.

Alors, le Miroir, fenêtre qui donnait sur l’autre monde, allait déterminer sa motivation.

Alyx arriva enfin à la bien trop grande porte en bois sombre. Elle faisait tâche dans ces locaux trop modernes, à croire qu’on traversait déjà la frontière des univers en la franchissant. Elle sentit Tock tendue, alors qu’elles entraient dans la pièce. L’atmosphère y était étrange, presque indescriptible. Comme un mauvais rêve qui était mauvais seulement parce qu’il n’était pas agréable et qui était trop loin de ce qu’on pouvait qualifier de cauchemar.

Le Miroir était là, planté au centre de la pièce. Une belle coïncidence que le sol soit fait de la même matière que ses contours. À se demander s'ils n’avaient pas transporté la pièce entière avec son artéfact. Alyx s’avança vers la brume qui se dégageait de la relique mystique. Tock sauta au sol, le poil bien plus hérissé qu’à son habitude. Elle ne voulait pas s’approcher davantage. Sa dresseuse, elle, n'en avait pas grand chose à faire. Elle passa une main dans la brume, elle avait la sensation que les étranges particules qui la constituaient lui glissaient entre les doigts. Qu’elles s'accrochaient à sa peau, juste l’espace d’un instant.

“La brume n’est pas dangereuse, mais la toucher n’est pas très agréable” C’était ce qu’on leur avait tous dit.

Elle ne comprenait pas trop pourquoi. C’était juste… bizarre. Comme le fait de toucher une matière encore inconnue jusque-là. Si cette brume venait de l’autre monde, elle était censée rappeler la mort, se disait-elle. Inspirer la peur, sans doute. Causer un frisson de malaise, peut-être. Faire blêmir, sûrement. Intoxiquer, en un sens. Rien de tout ça pour elle. Parce qu’un truc cloche chez toi, parce que t’es pas vraiment là, parce que t’es un peu morte finalement.

Elle ne s’amusa pas plus longtemps à effleurer le nuage mystique pour se concentrer sur la surface réfléchissante. Elle s’y voyait, trop entière, trop nette. Elle y voyait Tock, à quelques pas derrière elle sur ses quatre pattes et les oreilles en arrière. Il fallait penser à l’être cher perdu pour que le Miroir sache quelle image renvoyer. Hmm… avait-elle songé devant ces simples explications.

La surface se brouilla sur une large surface, un flou censé faire apparaître quelqu’un, une brume à traverser de l’autre côté sans doute. Une silhouette enfantine commençait à apparaître, sans jamais devenir vraiment nette. Des contours incertains. Instables. Constamment en ondulation. À peine des vêtements qui se dessinaient. Changeants. Un visage toujours invisible, caché par un bruit photographique. Un papier froissé. Une rature furieuse au stylo.

Alyx n’était pas surprise, juste las. Elle s’y était attendue. Elle avait déjà vu ça, autrefois. La même chose. Le même comportement. Quelque chose avait déjà essayé de faire prendre forme à ses souvenirs abîmés et intangibles. De la même manière. L’exact même manière. Elle réfléchirait à tout ce que ça impliquait plus en détail une autre fois.

Pas de son, seulement l’image, alors elle fit un geste de la main, elle voulait voir quelle serait la réponse. Comme tout le reste de l’image que le Miroir envoyait, le geste retour était victime de soubresauts, puisque la silhouette n’arrivait toujours pas à se stabiliser. Encore pareil.

Quel beau simulacre

Elle n’avait plus rien à faire ici. Ce Miroir n’avait rien à lui offrir. Elle se demandait s’ils savaient. En attendant, elle serait patiente jusqu’à ce qu’ils leur révèlent la mystérieuse méthode pour ramener les morts à la vie, leur dernière chance. Selon la nature de cette grande révélation, elle n’en aurait définitivement plus rien à faire si Abyss venait à brûler. Et elle continuerait d’assurer ses arrières pour éviter qu’elle ne se fasse entraîner dans leur chute. Parce qu’il n’avait jamais été question de si, mais de quand. De toute façon, elle n’avait pas besoin d’eux.

Elle n’avait besoin de personne.

Elle tourna les talons sans même un dernier regard vers le Miroir et leva le bras pour inviter Tock à reprendre sa place. L’albinos ne se fit pas prier, bien contente que sa dresseuse s’éloigne enfin de la structure et sa brume inquiétante.

Alyx n’avait définitivement pas envie de passer la nuit dans cette ville déprimante. Et elle n’était pas d’humeur à traîner dans le seul endroit un peu vivant du coin, avec ses pensées un peu trop focalisées sur le passé, le premier type bourré qu’elle apercevrait risquait de trop vite l’énerver. Elle allait s’éclipser de cette tour trop froide, sans y croiser personne elle espérait. Puis rentrer chez elle. C’était la meilleure chose à faire, ce soir.