Ombre de la Lettre Maudite [Solo]

Le soleil brillait haut dans le ciel, réchauffant les falaises escarpées des Haut Monts autant qu’il était possible de réchauffer quoi que ce soit dans ces hauteurs glacées. Une légère brise descendait des pics gelés et se glissait un peu plus bas pour faire frissonner les êtres vivants qui osaient sortir de leurs abris rocheux. La végétation était rare dans ce coin là, les minéraux dominaient, et parfois la neige venait de déposer pour tenir compagnie à la pierre. Heureusement, il ne faisait pas aussi froid ce jour-là. De l’eau s’écoulait bruyamment d’une cascade pour venir se fracasser en contrebas entre des rochers plus aiguisés que les griffes d’un Farfuret. Sur une arche naturelle de roche devant la cascade se tenait une jeune Lucario, assise en tailleur, les yeux fermés, concentrée. Elle était en pleine méditation.

Le fracas de la chute d’eau peinait à couvrir l’impact des attaques et les hurlements des innocents.

Jeune, mais dont le corps marqué de cicatrices témoignait d’une vie bien remplie, probablement trop. Une balafre sur le torse et la pointe métallique de sa poitrine brisée. Ses pics de métal à ses bras fracturés. Et les dernières zébrures rosées, bien plus anciennes, sur l’un de ses appendices capillaires, ceux-là même qui étaient essentiels pour percevoir le monde avec une toute autre vision. Elle ne s’en était rendu compte que bien plus tard, mais cette vieille blessure avait toujours gêné son autre sens. Elle avait dû faire avec, s’entraîner davantage, compenser. Elle avait appris auprès d’autres, qui possédaient ce même sens, qui faisait bien sans ces… antennes.

Elle avait oublié d’où venait cette blessure là, elle était trop jeune sans doute. Son premier dresseur peut-être ? Celui-là même qui l’avait abandonnée. Il n’avait pas l’air d’un type bien, c’était sûrement ça. Et ceux qui sont venus après, ils n’étaient pas mieux. Passée de mains en mains comme un objet, à peine considérée, et même lorsqu’elle l’était, c’était avec d’autres desseins en tête. Toujours commettre leur crime pour eux, toujours participer à leurs guerres, toujours obéir aux ordres. Les choses qu’elle avait faites pour ceux qu’elle croyait être des amis, elle ne comprenait pas alors, et quand lui était arrivé la réalisation, il était trop tard.

Elle avait vu le sang, elle avait vu la mort, elle avait vu la guerre, parce qu’elle avait été l’outil des agents de cette lettre maudite, des années et des années auparavant.

Encore jetée, encore abandonnée, encore perdue, une lueur d’espoir s’était manifestée en ce Dieu venu de l’espace. Mille promesses de liberté pour leur espèce avait nourri le coeur d’une petite Riolu qui n’était que chagrin et colère. Et la puissance qu’il octroyait, tous ceux qui s’étaient senti si faible face aux humains bénéficiait d’un tel pouvoir qu’il en faisait tourner la tête. Ne plus être faible, et être libre, c’était un beau rêve. Un rêve d’enfant qui n’avait pas duré à l’aube d’une nouvelle guerre. Mais c’était pour elle même, cette fois, pas pour les autres, n’est-ce pas ? Pourtant le sang avait la même couleur, le feu et les cendres la même odeur, et la mort était toujours la même vision d’horreur. La défaite inévitable, le Dieu de l’espace censé se battre pour eux et les libérer les avait aussitôt abandonnés à leur sort, à devoir recoller les morceaux et gérer les conséquences d’une inutile révolte. Le tout dans les ruines embrasées du croissant où personne n’était à l'abri, comme une punition divine tombé sur eux tous, humains et Pokémons.

Comme si le temps était un cercle comme si l’histoire se répétait, ce qui ressemblait au digne héritier de la lettre maudite faisait son entrée. Mais cette fois, elle ne prit part à rien. Elle, comme beaucoup d’autres, avait du mal à se remettre de la guerre au nom de Deoxys. Seule à nouveau, faible à nouveau, elle ne cherchait qu’à se reposer. Si jeune et déjà fatiguée de se battre, fatiguée de vivre même, elle avait rejoint le Village caché pour se ressourcer. Elle ne savait pas quoi faire, elle ignorait même qui elle était, elle n’avait jamais eu le temps d’y réfléchir, jamais eu le temps de simplement être.

Les humains reconstruisaient l’île, et les Pokémons faisaient de même de leur côté. Après une longue période de repos à guérir des blessures tant physiques que psychologiques, elle participa elle aussi à l’effort collectif. Les humains se faisaient toujours la guerre, et leurs Pokémons étaient toujours impliqués. Mais elle, elle ne se battait plus. Elle avait appris qu’il y avait d’autres façons d’aider, elle avait appris qu’il fallait choisir ses combats, elle avait appris que la violence, aussi utile et nécessaire qu’elle puisse être Arceus savait à quel point, elle n’était pas toujours la solution non plus. Ce n’était pas le moment pour elle de reprendre le combat.

De longues années s’écoulèrent, alors qu’elle avait trouvé sa place parmi les Pokémons sauvages et la vie dans la nature. Un sentiment d’appartenance chaleureuse, bien différent de celui qu’elle avait connu durant la guerre du Dieu de l’espace. C’était plus réel, plus concret, et surtout plus agréable. Elle était heureuse, malgré tous les malheurs qui pouvaient encore arriver de temps à autre. Elle avait aussi envie de se racheter après avoir fait tant de mal pendant tant d'années, et elle n’avait jamais essayé de se cacher derrière des excuses. Pourtant elle n’était pas complètement responsable, elle avait simplement été victime des circonstances. Mais elle assumait, et elle devait réparation, c’était devenu son objectif. Quelque part, durant ce temps-là, la petite Riolu était devenue une jeune Lucario. Le résultat d’une vie pleine de petits bonheurs à célébrer, mais pour elle, c’était le signe qu’elle était sur la bonne voie et une récompense pour tous ses efforts. Sans pouvoir se l’expliquer, elle savait aussi que c’était le commencement de quelque chose.

Elle était bien loin du Village, lorsque le Mal s’est déchaîné sur l’île avec son aura putride qui avait étouffé le croissant entier. La pire journée, la pire nuit ? qu’elle avait vécu depuis longtemps. La peur l’avait ramenée si loin en arrière, et elle ne venait pas seulement de la brume empoisonnée qui lui avait fait tourner la tête. Elle aurait juré avoir vu des ombres du passé venir la hanter, des voix de personnes qui n’étaient plus, de Pokémons qui n’étaient plus, des voix qui avaient été autant source de confort et d’amour que de colère et de haine. De vieilles blessures rouvertes des trahisons passées. Et puis plus rien. Le retour à la normale, comme si rien n’était arrivé.

Il était peut-être temps de se mettre aux faits de ce que les humains trafiquaient.

Leurs conflits étaient compliqués, un peu trop, pour pas grand chose. L’histoire se répétait encore et encore, elle y voyait le même schéma à chaque fois, et l’Histoire avait prouvé que le résultat était également toujours le même. Elle voyageait déjà à l’époque, dès lors qu’elle s’était remise de la deuxième guerre, mais de façon modérée, revenant toujours au Village. Cette fois, elle comptait voyager, observer, comprendre, et s’il le fallait, agir. Elle s’était tenue à l’écart des combats trop longtemps. Le Mal si puissant et si effrayant avait été récupéré, évidemment, c’est tout ce qu’ils savent faire, capturer quelque chose pour l’utiliser ensuite. Ceux-là, en tout cas, elle ne leur faisait pas confiance. Elle n’avait pas besoin de s’approcher d’eux pour ressentir leur aura abjecte qui lui rappelait ceux d’avant, et ceux d’encore avant , et ceux à la lettre maudite qui était là en premier. Elle espérait que les bons, ceux qui voulaient le bien et la paix, seraient assez forts. Elle voulait aider, mais elle ne savait pas comment. Ce qu’elle avait appris au fil des ans, c’était que l’union faisait la force, et seule, elle ne pouvait rien. Embusquer quelques criminels aussi bien dans la nature qu’en pleine jungle urbaine et apporter son aide à ses camarades Pokémons sur toute l’île paraissait dérisoire. Elle avait compris que les humains aussi, cherchaient à se réunir pour être plus fort en plus grand nombre. Elle n’était pas sûre de se sentir prête pour ça.

Les montagnes, les Haut Monts comme les humains les appelait, faisaient partie d’un de ses terrains d’entraînement préférés. Elle qui ne se souvenait pas avoir connu la vie sauvage avant sa libération, elle avait appris de la part de ses camarades qu’il était bien naturel qu’elle s’y sente bien, c’était le terrain de prédilection de son espèce. Elle s’y rendait souvent, avant même son évolution, pour s'entraîner, pour méditer, pour ne faire qu’un avec son environnement. Les cascades l’empêchait d’utiliser l’ouïe, fermer les yeux l’empêchait d’utiliser la vue, une privation sensorielle improvisée pour se concentrer seulement sur son sens particulier qui lui était propre. Elle percevait la vie si loin dans les profondeurs de la roche, jusque dans les tréfonds des grottes sous elle. Elle sentait la vie dans les airs, les battements d’ailes et les ondulations dans le vent. Parfois, quand elle était assez proche, elle pouvait même sentir la ville, un bourdonnement compact de trop d’âme pour distinguer autre chose qu’un amas d’être vivant et d’énergie. Régulièrement, elle percevait les randonneurs et les touristes sur les pistes enneigées. Et puis, parfois, elle percevait cette aura bien plus forte que les autres, souvent accompagnée d’un esprit et de fées.

Ce jour-là, elle sentit une aura comme celle-là. Rare, différente, comme une étoile qui brillait bien plus fort dans le ciel. Celle-là, elle ne l’avait jamais vue, ce n’était pas la même qu’elle percevait de temps à autre. Celle qu’elle connaissait, elle avait compris à qui elle appartenait, à force de mettre un pied à nouveau dans leur monde. Mais la nouvelle lui était complètement inconnue. Elle était loin, mais pas trop. Même à cette distance, elle la sentait troublée. La curiosité l’emporta et elle se mit en route.

Elle descendit des falaises escarpées jusqu’à rejoindre les hauteurs d’un large plateau. Le genre de terrain propice aux entraînements en groupe comme l’aimaient bien les dresseurs. Les Haut Monts faisaient partie de ces endroits où humains et Pokémon pouvaient se mettre à l’épreuve, dans un lieu naturel dur, mais clément. La Lucario avait vu les autres âmes qui entouraient la lueur plus intense, de taille variable, quatre Pokémons qui l’accompagnaient. Ses yeux confirmèrent bien vite ce que son autre sens avait perçu.

“Bon, hmm… Alcina, on va réessayer ce truc où tu tournes sur toi même avec tes Griffes Acier après un Aéropique”

La dénommée Alcina devait être cette Mangriff chromatique au pelage brillant qui réagit avec lassitude à la proposition de sa dresseuse. Perchée un peu plus loin, un peu plus haut, la Lucario observait et écoutait bras croisés. Le minuscule Bombydou qui voletait autour de la tête de l’humaine de la même façon qu’il aurait voleté autour d’une fleur tourna s’arrêta pour regarder vers elle. Et presque dans le même temps, un décalage trop infime pour qu’elle n’ait que suivit son compagnon féérique, l’humaine aussi avait tourné son regard pour confirmer sa présence. Elle adressa un sourire en guise de salutation au Pokémon sauvage, qui se retrouva légèrement décontenancée. Elle lui rendit son salut d’un hochement de tête solennel. Et le groupe reprit ses activités sans la déranger.

“T’as raison, faisons une pause” reprit l’humaine pour répondre à sa Mangriff fatiguée.

Les trois autres, une Kraknoix, le Bombydou et un Doudouvet répondirent avec enthousiasme à cette proposition eux aussi. Ainsi, tous s’installèrent confortablement pour se reposer, manger un peu, discuter, et s’amuser pour les plus joueurs d’entre eux. La Lucario continuait d’observer, intriguée, et quelque part au fond d’elle, peut être un peu jalouse. Toujours la même pointe d’amertume à chaque fois qu’elle voyait un dresseur et ses compagnons sur une même longueur d’onde, une amitié, un respect mutuel avec la plus grande sincérité du monde. Leurs liens n’étaient tous de la même intensité, mais un lien était là, elle le sentait.

À mesure que le temps passait, elle avait fini par s'asseoir. Elle n’avait pas l’air d’avoir quelque chose de spécial, cette humaine, et comme beaucoup dans son cas, ces rares étoiles plus brillantes que les autres, elle ignorait sans doute son potentiel. Alors pourquoi s’entraînait-elle, si ce n’était pas pour ça ? Était-elle ce genre de dresseur à participer à ces combats sportifs ? Non c’était différent, elle n’entraînait pas que ses compagnons, elle s’était entraînée physiquement elle aussi. Elle la sentait toujours troublée, comme si elle portait un lourd fardeau sur ses épaules. Quoique… Il n’y avait rien d’étonnant, l’île avait été calme, mais les combats ne s'arrêtaient jamais vraiment. C’était quelqu’un pris dans la bataille, comprit-elle finalement. C’était peut être ça, toutes ces cicatrices qui lui rappelait les siennes.

Après une longue hésitation, la Lucario descendit de son perchoir pour les rejoindre. L’humaine ne posa pas de question, ni sur ses marques, ni sur les décorations à son oreilles dont l’origine était bien humaine, témoignant d’une ancienne appartenance à l’un d’entre eux. Elle participa à leur entraînement, accueillie à bras ouvert par tous. Elle eut quelques échanges avec les quatre Pokémon. Et puis vint l’heure du départ.

“On va retourner en ville se réchauffer” expliqua-t-elle simplement “Prend soin de toi !”

Un sourire derrière lequel elle cachait ses tracas comme au revoir, de la même façon qu’elle l’avait saluée. Ses compagnons lui avaient un peu parlé d’elle. L’union faisait la force, non ? Le Mal si terrifiant, elle combattait ceux qui l'avaient capturé, et elle n’était pas seule, d’autres humains luttaient. Elle n’était pas prête. Elle n’était pas prête mais elle fit un premier pas.

Sur le chemin, la dresseuse lui proposa d’entrer dans l’une des sphères, et la Lucario refusa poliment. L’humaine n’insista pas, sans jugement, sans arrière pensée, avec seulement du respect et de l’acceptation. Elle allait la suivre quelque temps, se dit la Lucario. Elle aviserait plus tard, rien ne pressait. Elle avait toujours un peu peur, au fond d’elle, mais elle avait grandi et changé. Elle savait lire dans l’âme des autres, maintenant.

Et l’Aura ne mentait pas.

HRP: