Un œil sur l'avenir [ft: Char]

Cela faisait quelques jours que la routine s’était réinstallée pour Charlie, après sa sortie exceptionnelle à Mégapagopolis avec Inoke. Une routine qui avait un peu changée cependant, il avait dû trouver le temps d’y intégrer de l’entraînement pour Pudding. Au lieu de ressortir épuisé à devoir se remettre sur plusieurs jours de ces micro-vacances, il en était ressorti étrangement gonflé à bloc et trop plein d’énergie. Il allait sans doute le payer plus tard, le contre-coup allait être terrible, mais en attendant, il en profitait bien.

Ça arrangeait bien la petite Mucuscule qui pouvait enfin livrer combat après avoir observé avec enthousiasme et envie ses camarades du Cafés ces derniers mois. Enfin, Charlie avait commencé petit. Missy n’était pas contre jouer les professeurs en bon aîné qu’il était, et Sacher, qui avait connu la vie sauvage et ses aléas bien plus longtemps que sa nouvelle amie blobesque, avait adoré l’idée des entraînements en famille. Pour la vraie pratique… Il aurait tout le temps de demander à n’importe quel régulier du Café le moment venu.

En attendant, il fallait bosser, comme d’habitude. Même le travail était moins fatiguant, qui l’aurait cru ? Charlie préparait machinalement une boisson tandis que Missy servait de jolies pâtisseries à une table. Un café latté pour une cliente régulière qui semblait bien fatiguée, même depuis le comptoir le serveur voyait encore ses cernes qui devaient être plus prononcés que les siens et ceux de sa patronne combinés.

Le Wimessir interrogea son dresseur du regard, mais ce service là, Charlie allait s’en charger. Lorsqu’il s’approcha enfin, il vit une Lucie avachie sur la table, en bon signe de désespoir.

“Ton café latté” fit-il en posant la boisson “Dure journée on dirait. Trop de boulot ?”

Il ne s’attendait pas à une vraie réponse face à une phrase et question aussi bateau - et il n’aimait pas vraiment ce genre de chose de toute façon, mais il savait l’étudiante plutôt discrète et solitaire, bien dans son coin, alors il ne voulait pas être trop intrusif. Mais à la voir aussi épuisée, il ne pouvait pas s’empêcher de s’en inquiéter un peu, alors c’était ce qu’il avait trouvé de mieux.

L’arrivée tant attendue du café latté avait réussi à arraché un semblant de sourire à Lucie pour accompagner son remerciement. Avec la telle fatigue qui transparaissait sur le visage de l’étudiante, Charlie aurait bien compris qu’elle se passe de sourire poli mais il était trop tard pour lui épargner cet effort.

“Pas vraiment” finit-elle par répondre “Les études ça va mais... c'est vraiment trop le bordel en ce moment”

Alors elle aussi se souciait des derniers événements. Comment ne pas y penser ? Le chaos à la capitale remontait il y a quelque temps déjà, pourtant l’ombre de cette journée semblait encore recouvrir toute l’île de son voile angoissant. Les deux organisations au centre du problème avaient pourtant fait de leur mieux pour apaiser les esprits, notamment avec cette histoire de Gala, pourtant une étrange atmosphère continuait de flotter en tout Maïlys.

Le serveur n’était pas très étonné, les cicatrices de chacun n’avaient pas même le temps de se refermer que quelque chose d’autre se produisait… Difficile de rassurer une population pareille. Il n’en était pas exempt, avec ou sans son anxiété, les inquiétudes allaient et venaient, et l’état d’esprit d’une attente où tout risquait de péter à tout moment ne le quittait pas.

“Toi qui vois passer du monde, t'as pas l'impression que tout le monde est devenu fou depuis le jour du gala à Sanctuary ?”

“Hmm… C’est difficile à dire” commença-t-il en réfléchissant à la question.

Il fallait dire que les clients du Café venaient y chercher détente et réconfort, qu’ils s’installent confortablement avec sucrerie et boisson chaude, ou qu’ils aillent se défouler en combat amicaux dans l’arène. La plupart des gens oubliaient leur soucis l’espace d’un instant.

Et puis, il n’était pas vraiment la meilleure personne à qui demander ce genre de chose, il avait du mal à comprendre ce qu’il se passait derrière la tête des gens au jour le jour.

Il avait simplement l’impression que l’histoire se répétait, les tensions qui montaient à nouveau, les murmures, les doutes. Mais, contrairement à avant, jamais vraiment personne sur qui placer toute les torts… ou plutôt, pas tout le monde ne s’accordait sur qui rejeter la faute. Les mots étaient un peu durs, mais finalement, Lucie n’avait peut-être pas tort de dire que tout le monde devenait fou.

“Pas sûr que tu poses la question à la bonne personne” continua-t-il enfin “Mais… Maintenant que tu le dis, quelque chose a changé dernièrement ouais. Difficile de savoir quoi exactement”

Ce dont il était sûr, par contre, c’était de son agacement à voir une jeune étudiante comme Lucie devoir se faire un sang d’encre à en perdre le sommeil à cause d’un énième problème à l’échelle régionale, au lieu de pouvoir se concentrer sur ses études et profiter de ces années là qui n’étaient déjà pas facile à vivre. Enfin, de son expérience en tout cas. Il y avait peut-être aussi un peu de cette récente frustration à ne pouvoir rien y faire qui s’y ajoutait, et travailler à pouvoir agir à son échelle ne l’avait pas encore effacée.

“Je vais pas te dire de pas t’inquiéter parce que c’est stupide et que ça sert à rien. Et j’ai pas de solution miracle non plus contre ça, faut me voir quand je suis une boule de stresse, moi même je gère pas ça très bien alors donner des conseils ça se pose là” précisa-t-il avec une brève grimace gênée “Mais si ça va vraiment pas, hésite pas à venir ici, même si on a pas encore ouvert ou qu’on est sur le point de fermer”

Il n’avait pas grand chose à lui offrir et il n’était pas le meilleur pour rassurer ni réconforter les gens mais le cœur y était. Et puis, un introverti en reconnaissait une autre, il n’était pas sûr d’avoir déjà vu Lucie venir avec qui que ce soit. Aussi solitaire qu’on pouvait être, être bien entouré durant les moments difficiles ne pouvait apporter que du bon.

“Merci, c'est sympa, mais je sais pas trop si j'aurais quelque chose à raconter”

“Bah, t’inquiète, pas besoin de parler. Des fois c’est simplement mieux de ne pas être seule le temps que l’angoisse passe… enfin, que le plus gros passe, en tout cas” rassura-t-il.

Chaque solution ne fonctionnait pas pour tout le monde, mais si il y avait bien quelque chose d’universel c’était bien le fait de se sentir soutenu. Charlie avait beau avoir tendance à se cloîtrer dans son coin et dans sa tête dans les pires moment, il ne pourrait jamais assez remercier Missy d’être toujours là pour lui. Il avait beau aimer un peu trop se plaindre du boulot, le Café avait ce petit quelque chose d’apaisant même en étant de l’autre côté du comptoir. Et bien sûr, la présence d’un·e ami·e aidait toujours… et avec son absence total de talent naturel pour créer et maintenir une relation, autant dire qu’il n’y avait pas grand monde dont la simple présence pouvait lever un peu le poids de l’anxiété.

Il commençait à se demander s’il n’était pas parti si longtemps de sa ville natale qu’il en était arrivé au point où être un grand frère lui manquait. Une pensée un peu absurde, et pourtant ne plus vivre les uns sur les autres avaient ironiquement rapproché toute la fratrie alors qu’ils s’étaient géographiquement éloignés. Lucie et Charlie n’étaient que cliente régulière et serveur qui s’entendaient plutôt bien, rien de plus. En même temps, le Café se voulait être un peu comme un refuge. Et peut-être que la jeune étudiante lui rappelait ses plus jeunes adelphes, alors finalement on tournait un peu en rond et tout revenait sur un instinct d’aîné fraternel qu’il avait oublié.

“T'as entendu parler de ce miroir à Espérantown ? Une fenêtre sur l'au-delà ou je sais plus quelle connerie. Ça me rend curieuse mais... j'sais pas trop si on devrait croire à tout ça. Ça tombe presque... trop bien pour être vrai, tu vois ce que je veux dire ?”

“C’est vrai que le timing est un peu trop parfait” admit-il.

Le fameux miroir qui avait été révélé au public durant le Gala. Cette retransmission avait éveillé la curiosité de tous, Charlie se souvenait des premiers murmures après l’événement. Tout le monde se demandait si c’était vrai, tout le monde se demandait d’où il venait. Les partisans d’Abyss étaient rassurés, ceux qui étaient assez neutres étaient intrigués, et les plus méfiants envers l’organisation se demandaient s’il ne s’agissait pas d’un mensonge.

Il ne cherchait même pas à écouter les conversations, ils les entendaient simplement malgré lui.

“Pile quand leur image est au plus bas ils trouvent quelque chose censé inspirer la confiance. Y a de quoi se poser des questions… Je sais pas quoi en penser, honnêtement”

Ce n’était pas tout à fait vrai. Abyss était louche depuis le début et même si Charlie n’était clairement pas la cible de leurs promesses, il avait du mal à concevoir ne serait-ce que l’idée de les suivre aveuglément. Et puis il y avait la façon dont ils s’étaient présenté à l’île.

“Non, tu sais quoi, je pense que c’est des conneries” finit-il par ajouter après avoir changé d’avis “Le fait qu’ils viennent de le trouver. Les moyens qu’ils ont déployés le jour où la tour Arthéna est tombée ne viennent pas de nul part, on va pas me faire croire que monsieurs tout le monde a pu organiser ça. Un type… ou des types richissimes comme ça partage pas tout et n’importe quoi sans que ça leur apporte quelque chose. Du fric ou une bonne image. Pour ça faut bien garder quelques tours dans son sac à sortir au bon moment”

C’était sorti sans doute un peu plus sèchement qu’il ne l’aurait cru. La dernière fois qu’un homme avec un peu trop de pouvoir avait eu la folie des grandeurs, il avait bien failli voir sa région natale se faire détruire.

Les événements de la Nuit Noire avaient été un étrange déclic qui l’avait fait sortir de sa propre tête pour observer, vraiment observer ce qui se passait autour de lui. Et à y regarder rétrospectivement, avec quelques années de plus, la maturité et l’expérience qui allait avec, ce bon vieux Shehroz n’avait pas commencé à être une gigantesque ordure à la dernière seconde. Les grandioses combats Pokémon de la région qu’il avait pu voir dans son enfance s’étaient retrouvés teintés d’une couleur plus sombre, l’espace de quelques temps.

“Maintenant va savoir si le pouvoir de ce miroir est vrai. On en serait pas au premier truc bizarre de l’île alors…”

Malgré le sérieux de la conversation, Charlie dut retenir un sourire amusé en voyant Lucie s’enfiler cul-sec le café au lait qu’elle venait à peine de commencer. Enfin, il fallait espérer qu’il ne lui reste pas sur l’estomac, tout de même.

“Après, tous nos trucs bizarres finissent par nous péter à la gueule, et c'est jamais les responsables qui trinquent”

“Assumer les conséquences de leurs actes ? Naaah, pourquoi faire ?” railla-t-il.

Le sort de bon nombre de tous ces criminels était bien trop inégale comparé à l’impact des catastrophes qu’ils provoquaient et des horreurs qu’ils commettaient. Certains disparaissaient, d’autres continuaient leurs méfaits, impunis, dans quelques rares cas le karma les rattrapaient et ils mourraient, et dans d’encore plus rare cas ils… tentaient le chemin de la rédemption. Ceux-là se comptaient sur les doigts d’une main. Clairement, la majorité s’en sortaient un peu trop facilement sur cette île et il n’y avait personne à blâmer pour ça… Tout le monde faisait de son mieux. Et tout le monde s’était tristement habitué.

“J'espère que le STERN savent ce qu'ils font, à pas les surveiller plus que ça. Enfin, qu'ils se sont pas laissés amadouer par le discours de l'autre, là. D'ailleurs ce type, je sais pas d'où il sort mais il me dit rien qui vaille. Ça m'étonnerait pas que lui aussi ait plus d'une casserole au cul si tu veux mon avis”

Au moins ça avait le mérite d’être clair. Le serveur avait entendu de nombreuses personnes partager ces mêmes doutes que Lucie concernant le STERN. Leur réputation était en dent de scie, et personne ne semblait trop avoir confiance en leur capacité à pouvoir faire face à une vraie grande menace. De soutien optimiste à soutien résigné, de méfiance à rejet total, il avait entendu de tout. Lui-même ne savait pas quoi penser. Le général qui avait repris les rênes semblait bien déterminé à se montrer plus proactif. Seulement, cette nouvelle et étrange trêve n’avait fait que prolonger - ou rétablir ? - l’encore plus étrange guerre froide qui durait depuis plus d’un an.

Et ce nouveau visage d’Abyss… Il ne pouvait qu’être d’accord avec Lucie. Son rôle n’était pas anodin et pourtant personne ne l’avait vu avant. Est-ce qu’il gardait un remplaçant à la fameuse Lisa Smith ? Ils faisaient un peu bon flic méchant flic. L’une avait été plus radicale et violente, son remplaçant était posé et diplomate. Si le fiasco de Mégapagopolis n’avait pas été aussi gros, Charlie aurait presque pu penser que tout avait été prévu.

“Pour le STERN je sais pas, honnêtement. Mais Inoke bosse avec eux et j’ai confiance en elle et en son jugement alors… C’est déjà ça je suppose” admit-il avec un haussement d’épaule “Et pour ce nouveau gars d’Abyss c’est quasi sûr. Il a des airs de grand entrepreneur, un peu. Au minimum il a déjà fraudé, c’est comme ça qu’on l’aura” plaisanta-t-il sans pour autant se défaire de son air sérieux “Blague à part, il a vraiment l’air de ce genre de type. Après je l’ai vu qu’en vidéo, dur de juger. Mais… je sais pas, je crois qu’il me rappelle un peu le vieux Shehroz à Galar, à l’époque où il avait pas encore essayé de faire sauter la région. Un certain charisme, beau parleur, air sympathique, costume bien taillé. C’est peut-être un des mécènes d’Abyss qui a eu une promotion”

Des idées dans le vide qui ne voulait pas dire grand chose. Une chose était sûre, si ce type ne voulait pas garder des airs suspects trop longtemps, il allait devoir faire preuve de bonne foi et arrêter d’être aussi mystérieux. Si seulement il n’était pas aussi bon pour jouer sur l’émotion des gens… son discours avait clairement eu un impact, que ces gens approuvent les agissements d’Abyss ou pas. En tout cas, c’est l’impression qu’il en avait en entendant tous les murmures. Heureusement qu’il restait des personnes comme Lucie pour douter.

“Avec un peu de chance, ça se passera différemment cette fois” ajouta-t-il, piètre tentative d’être rassurant devant ce tableau si flou, et un peu trop sombre “Plein de gens essaient de faire en sorte que ça soit le cas”

STERN ou non, certains de ses soldats faisaient de leur mieux, Ligue ou non, de nombreux Champions étaient déterminés à faire la différence une bonne fois pour toute, et invitaient un maximum de personnes à faire de même. Et les Dresseurs au grand cœur ne manquaient pas non plus, comme toujours. Charlie était peut être anxieux mais il était plutôt optimiste. Ou plutôt, il se refusait à être trop pessimiste.