Sinful night (Pv Matt Engardevoir - CN)

Quel spectacle affligeant qu’est celui de corps flasques et enivrés se jetant dans les bras les uns des autres, influencés par les effets hypnotiques de la boisson. Seule, accoudée au bar, un verre à peine entamé à la main, une svelte jeune femme blonde observait la foule désorganisée et bruyante qui constituait ce soir l’éphémère clientèle du bar ”Le Cosmo-Gogo”. L’endroit avait toutes les qualités requises pour le définir en temps que bar branché du centre ville, de la musique suffisamment forte pour couvrir un volume de conversation normale, des lumières tamisées, un va et vient constant entre la terrasse et l’intérieur… L’environnement idéal pour que les plus faibles de charisme et de volonté laissent libre cours à leurs pulsions bestiales et ce, bien que la soirée n’eut été que fraichement entamée. Malheureusement, ce n’était pas pour profiter de cette ambiance que la jeune femme s’était installée au comptoir de ce bar, ni même dans l’espoir de s’enivrer de la colère de clients insatisfaits, de la peur d’amants infidèles ou de la jalousie de séductrices ignorées. Bien sûr, la spectre aurait eut tort de se priver de telles opportunités mais son but primaire était loin de l’idée de se contenter d’un pareil menu fretin. Elle attendait quelque chose, un événement d’une quelconque sorte ou peut être une personne.

Cela faisait bien des jours que la jeune femme avait découvert l’existence de ce lieu et des opportunités dont il regorgeait cependant, il s’agissait maintenant de constater de ses yeux ces hypothèses purement fictives. Si l’on avait essayé de faire croire à la commandante que l’un des membres de la ligue passait ses soirées dans de tels bouges pour rencontrer des matchs d’applications pour célibataires affamés, elle aurait balayé le scénario sans ménagement, dénonçant des sources mensongère. Mais c’était bel et bien le cas pourtant. Elle l’avait découvert et avait oeuvré dans le plus grand des secrets afin d’user de cette opportunité sans en gâcher une miette.

La spectre avait ainsi opté pour une apparence plus femme que demoiselle, un physique plus attirant que charmant dont le regard devenus rouge brillait comme des rubis dans la nuit. La jeune femme ne devait pas atteindre la trentaine et laissait deviner des formes aussi graciles que toniques, dissimulées sous une robe fourreau qui dévoilait plus que la convenance pouvait le tolérer. Ainsi son dos nu jusqu’au dessus de ses reins dévoilait une peau laiteuse couverte d’un boa de légères plumes noire. De hauts gants couvraient ses mains et avant bras jusqu’au coude, cachant quelques unes des parcelles de peau dévoilées par le bustier de sa robe fendue. Enfin, la jeune femme étant de taille légèrement plus haute que ce que la masse considère comme adorable, de simples ballerines sombres venaient parfaire cette tenue noire bordée de fuchsia sans que sa stature ne bascule dans l’excès pour la gente masculine. La susceptibilité du sexe faible ne connaissait malheureusement aucune limite. Un court carré blond platine venait entourer un fin visage dont les traits semblaient s’être pliés à l’élégance de leur hôte. Gracieuse, désirable mais distante, la jeune dame rentrerait parfaitement dans les canons de ce que les mâles désirent ajouter à leurs trophées de chasse. Et justement, c’était un chasseur que cette jeune biche guettait dans une discrétion nonchalante. Le champion serait bientôt là, à la recherche de sa future conquête de la soirée, une pauvre godiche supplémentaire qui assouvirait l’appétit du prédateur le temps d’une nuit. Il y avait cependant fort à parier que le dit prédateur ignorait que le profil avec lequel il devait avoir rendez vous ne se présenterait jamais, et pour cause, la pauvre fille ne savait même pas qu’elle était conviée dans un tel endroit. Tel était l’une ficelles dont pouvait user la déesse du Chaos.

Prenant à contre coeur une gorgée du liquide présent dans son verre, la jeune femme ne put retenir un sourire à l’idée de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas eut l’occasion de se soumettre à un tel exercice, c’était comme redécouvrir les saveurs d’un lointain plaisir perdu. Elle sentit une bouffée d’air emplir étrangement ses poumons, pouvait-il s’agir d’une quelconque appréhension ? Du trac peut être. Non, bien loin de là, cela pouvait plutôt s’apparenter à l’excitation d’une lionne en chasse. Elle baissa les yeux vers la pochette qui pendait à son poignet. Forcée de se soumettre aux règles de cette société rétrograde, elle avait dû enfermer ses compagnes dans leurs posé-ball et ce, malgré la répulsion qu’un tel acte déclenchait chez elle pour d’évidentes raisons. Bientôt cette mascarade se terminerait et elle pourrait libérer ses coéquipières mais avant cela, elle comptait bien en profiter. Quelques temps passèrent avant qu’un séduisant jeune homme ne fasse son apparition, l’air visiblement préoccupé par de quelconques tracas. Son regard insistant allait de l’entrée aux différentes tables et la contrariété qui se lisait sans mal sur ses trait suintait de tout son être comme une fontaine de miel. La partie allait enfin pouvoir commencer. Attendant quelques minutes, se délectant de ces ressentiments comme de la meilleures des boissons, la jeune femme finit par feindre une rencontre accidentelle de leurs regard. Bien que l’un des yeux du jeune brun se soit trouvé dissimulé derrière une longue mèche, elle le fixa avec une insistance modérée avant de sourire, les yeux brillant de toutes les promesses qu'un homme pouvait espérer, la paille qui dépassait de son verre toujours très légèrement coincée entre ses lèvres. Le signal de départ ayant été envoyé, il ne restait plus qu’à voir si les capacités de déductions et l’avidité du champion feraient le reste. Sans un mot, retardant le moment où le contact visuel devrait être brisé, la jeune blonde se retourna vers le comptoir dos à la salle et attendit son heure.

Ombres portées dans la nuit naissante, ronronnements de moteurs et claquements de talons papillonnaient sous les froids éclats des réverbères. Le cœur de la mégalopole s’embrasait d’une nouvelle essence, moins mesurée, plus frivole, véritable incubatrice des mouvements sybarites de la région. Après tout, l’astre lunaire a ses raisons que le soleil ne connaît point ; la logique de la vie nocturne possédait, elle aussi, des raccourcis que les Solarocheux ne pouvaient entrevoir que lorsque leurs chausses rencontraient le lino sobre de leur palier, couinant proportionnellement à la charge de labeurs qu’ils avaient dû accueillir le jour durant, leurs yeux fuyant avec anxiété la lumière des premiers néons. Les trottoirs qu’ils foulaient avaient changé d’usuriers, tout comme les façades anciennement muettes s’animaient d’affiches et de slogans inutilement aguicheurs.

En effet, toutes les strates étaient acceptées le temps d’un soir dans le bain des plaisirs édulcorés, du moment qu’elles partageaient le même code de conduite : abandonner son enveloppe pour se chercher dans autrui. Se dissoudre dans l’œil de l’autre, repousser les noèses auto-accusatrices au lendemain, voilà l’artisanat auquel s’adonnaient les citadins à ces heures nébuleuses. Des plus malins – les maîtres naturels des lieux – avaient acquis la capacité de gauchir les règles à la perfection pour en profiter tout en gardant leur tête froide. La plupart ne poussait pas leur plein potentiel par soucis d’intégrité, ou bien par lassitude. Mais dans les veinules de Mégapagopolis, là où la ville gardait farouchement ses havres de secrets, nageaient les véritables squales, un verre ou un bout de soie à la main, attendant que leur victime d’un soir se loge d’elle-même sous leurs dents.

Tel était le lieu devant lequel la coupé sport venait de se garer.

Accoudé au rebord de la portière, l’extrémité de sa main droite courrait énergiquement le long du revêtement chamois, quand l’autre s’obstinait à racler le fond d’un sachet de chips à la baie Nanab. Ses lunettes de soleil gisaient dans le renfoncement aux côtés d’une quantité non négligeable de bouteilles aux multiples teintes. Il leur glissa un regard fébrile avant de se raviser : leur pleine utilité se réveillerait en même temps que les premiers rayons de soleil. Sous son blouson écarlate, seul un simple morceau de tissu gris empêchait ses muscles sans cesse frémissants de trahir la tension qui le parcourait.

Le brun à la mèche rebelle abhorrait ces moments de flottement où ce n’était plus le monde qui l’attendait, mais lui qui subissait les lenteurs d’autrui. Et surtout, où rester sagement assis était la seule chose à faire. Les tremblements ténus de la voiture s’étaient estompés depuis maintenant une minute entière. Alors il patientait, dépliant et repliant entre deux « crunch » l’antenne de son Vokit ancienne génération en attente du signal. L’engin finit par émettre une série de notes surcompressée. Pris la main dans le sac, son propriétaire se stoppa fébrilement avant de reprendre sa composition habituelle. Il essuya l'huile de ses chips là où il le pouvait - c'est à dire sur le siège - et décrocha.

« Monsieur, notre invitée semble accuser un retard de plusieurs minutes. Nous tentons actuellement de la contacter, cependant... »

L’antenne fut immédiatement repliée, l’écran troquant le rétro-éclairage qui s’était mis en route pendant l’appel pour le noir profond. « Cependant », le mot de trop ; il n’était plus question d’attendre un quelconque feu vert de son chauffeur. Le mécanisme de la porte arrière s’activa pour laisser place à des jambes guindées d’un jodhpur immaculé, puis enfin au portrait du nouveau Champion de la capitale économique de l’île.

La nouvelle étoile des fonds marins:

Des traits allongés, francs, dont l’absence de rides naturelles les parait d’une certaine naïveté enfantine, ceints d’une chevelure à la modestie parfaitement maîtrisée et ponctués d’orbes envoûtantes à l’iris de plomb. Ce visage semblaient avoir déjà fait l’unanimité au sein de la population Mégapagopolisoise, celui d’une nouvelle personnalité photogénique et inspirante surgissant en plein milieu d'une Ligue enchevêtrée dans les balbutiements de sa propre reconstruction. Son entrée en fonction au sein de l’arène vacante en tant qu’expert des Pokemons de type Eau n’avait pas été entièrement entérinée par la haute direction de Maïlys. Cela ne l’avait pas empêché de médiatiser son abordage de la région à coup de communiqués et d’interviews sur la chaîne de télévision principale, capitalisant sur une image d’ancien Challenger vedette du Tournoi de Galar, ayant suspendu son ancienne vie d’ermite pour apporter son magnanime soutien aux victimes des évènements du Cratère. D’après le matraquage des semaines passées, ces derniers pouvaient ainsi compter sur l’aide de Matt, l’ascète spécialiste en arts martiaux, et monarque de la mer.

Cependant, cette nuit, les pensées de l'ascète étaient élaguées du toute compassion envers ces pauvres sinistrés.

Ses souliers foulèrent enfin le sol flambant de la salle principale. Le premier contact visuel se fit brossé, avide d'informations sur l'état du terrain, et plus particulièrement sur sa future prise.

Les employés embrassaient nonchalamment leur rythme de croisière, parfait équilibre entre une minimisation des erreurs et un service fluide de la clientèle. Éclectisme entier dont la composition incluait tous ceux qui cherchaient à s'absoudre dans la vanité en toute quiétude. Des échos de discussions personnelles s'élevaient des coquettes alcôves mises à leur disposition, du moment qu'ils avaient de quoi consommer. Ce spectacle, auquel le Champion s'était fait en débarquant dans la ville, glissa sur ses joues tiraillées par une franche irritation.

Sa cible ne figurait pas sur le tableau devant lui.

Dans l'optique de rester discret, il n'organisait pas lui-même ce genre de rencontres, de telle sorte à ce que son agent et son chauffeur fussent uniques informés de l'identité de ses proies. Celles-ci étaient contactées en amont et devaient arriver avant lui, attendant qu'il sorte de "nulle part" pour accompagner leur soirée. Jouant de sa discrétion et arrachant au passage quelques mots aux serveurs en plein travail, le jeune brun gaspilla de précieuses minutes à confirmer les sources de son mécontentement. La crispation qu’il tentait de réprimer allait jaillir, comme il pivotait prestement en direction de la sortie. Son regard croisa alors celui du boa silencieux. Un être singulier aux yeux tranquilles, inaltérables, livré à lui-même en plein milieu d’un maelström d’émotions exacerbées par l’éthanol, très certainement déçu par un début de soirée plus que médiocre. Un semblable, en somme. L’échange muet perdura un instant, le temps d’une hésitation, avant que son instigateur y coupe court. Ce n’était pas le cas du champion dont les traits s’assagissaient au gré de sa réflexion.

En approche de sa nouvelle quête dans le jeu de la feinte et de la désinvolture, il reprit instinctivement la face qui faisait si bonne impression au public. Son regard était rivé sur le rebord du bar, mais il ne s’empêcha pas d’user de sa vision périphérique pour mieux juger l’enveloppe charnelle qui accompagnait ces yeux.

Le squale demanda d’un ton faussement fatigué la même boisson une fois à la hauteur de la jeune femme. Après tout, le premier acte du grand opéra de la chasse avait déjà commencé, il était temps d'introduire un semblant de matière avant que l'intérêt général ne décline. Un fin soupir s'échappa de ses lèvres. Il laissa son unique œil libre vaquer dans le vide un instant, avant d'enfin lui faire face.

«Un bien étrange endroit pour se permettre de faire attendre les gens, vous ne trouvez pas ?»

Dans sa voix vibrait une sympathie mesurée, promesse désintéressée de réconfort intimant à son interlocuteur de se laisser faire. Le barman ponctua la question par le dépôt du breuvage commandé, accompagné de deux tapes du bout de l'ongle sur le comptoir. Mais l'attention du champion demeurait inchangée ; la vraie soirée venait à peine de s'amorcer.